vendredi 4 mars 2011

Nightcity 01



Une rue, crasseuse, sous la neige, où plutôt la bouillasse de cette fin d’hiver, à moins que ce ne soit le commencement.
Les flocons gris volent dans un décor noir et blanc, terne, mélange de couleurs bétons. Pas une étoile n’éclaire le ciel, sauf celles bleutées des pauvres néons des lampadaires décharnés.
Personne dans les rues, parfois une voiture blanche et noire, comme le décor, passe à toute vitesse, gyrophare et sirène émettant une plainte sombre.
Un homme marche dans la rue, grand, protégé du froid par un long manteau en cuir noir, comme ses cheveux ailes de corbeau. Il avance à longues enjambées dans la neige bouillasse, ses bottes, du même cuir noir que son manteau, émettant un clapotis à chaque pas.
Il marche le long des murs, homme vêtu de noir se découpant sur le béton grisâtre des murs. Il marche lentement le long des façades aveugles des immeubles décrépis.
Il avance, puis s’arrête. Une porte haute en chêne marron. Elle bat sous l’effet des rafales de vents. L’homme scrute quelque chose, peut être le fronton de l’immeuble, le bouclier d’arme gothique effacé depuis longtemps ? Ou encore les deux démons, à moins que ce ne soient des gargouilles ?, qui protègent l’entrée.
Il pousse le battant de la porte, elle ne tient plus que par un gond. Cette pensée le fait sourire. Le hall est vide, si ce n’est de vieux papiers journaux qui volent au grès des rafales glaciales. Il s’avance, il approche d’un escalier en marbre, directement importé d’Europe. Cet endroit a connu des jours meilleurs.
Il monte. Dans les étages, il entend des murmures, petits bruits feutrés, comme des pas. A moins que ce ne soit le vent ?
Il s’en moque, il monte encore un étage, puis deux. Il est au sixième, juste sous le toit en ardoise troué depuis longtemps de toute part par les intempéries.
Il marche lentement dans les mansardes. Rien, plus un bruit. Des portes sont claquées sur son passage, il s’en moque. Ce qui l’intéresse, c’est celle toute noire au fond de l’étage, noire comme l’enfer, noire comme la nuit qui recouvre la Cité de la Nuit.
Il marche, quatre pas, trois, deux…Le vent siffle encore à ses oreilles.
Il est juste devant la porte. Il sorte quelque chose de sous son long manteau en cuir noir. Quelque chose de brillant, une immense arme de poing. Il enlève la sureté dans un claquement funèbre. Le vent souffle, glacial. Il est devant la porte.
Il la regarde, il sait que ce qu’il cherche est derrière. Il regarde la porte. Il prend une inspiration, très longue, paisible. Il sait ce qu’il doit faire, ce qu’il va faire, indubitablement. Il expire l’air, concentré, et il inspire une nouvelle bouffée. Il pourrait être à mille et mille lieues de là, il est hors du temps.
Soudain, il resserre son emprise sur son arme. Il lève sa jambe, mouvement lent, très lent, et donne un immense coup de pied dans la porte noire qui s’ouvre.
Il entre, arme au poing, tendue vers le fond de la pièce où le vent glacial souffle.
Un homme est là, vieillard enfoncé dans un fauteuil. Un rotin chair qui se balance. Une couverture est jetée sur ses jambes. Il sait que le vieux est paralysé depuis des années. Il le regarde, scrute le visage ridé, les cheveux gris clairsemés par le temps, le pâle sourire de celui qui sait qu’il est déjà mort. Il est impressionné, malgré son âge, le vieillard aux cheveux d’argent le regarde droit dans les yeux, de ses yeux bleu glace, bleu acier. Le vieux arrête de se balancer sur sa chaise. Il examine l’homme jeune en face de lui, qui est venu abréger sa vie. Il le regarde fixement, deux yeux bleus glace, bleus acier le fixe. Il s’apprête à dire quelque chose à son visiteur, se ravise. Il le regarde une dernière fois, il regarde une dernière fois les yeux bleus glace, bleus acier, qui sont venus pour lui. Et il sourit, il sourit car il sait qu’il va redevenir libre…

Dans l’immeuble, on entend une détonation puissante. Plus rien ne bouge, même le vent s’est arrêté de siffler…

Image: Christmas Night, empty Street, via Flickr

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