Il ferme doucement la portière de la voiture. Tourne les
clefs. Allume les phares. Puis il se met à rouler, lentement, sans un dernier
regard à son ami qui lui dit au revoir. Il roule dans la nuit. Ses bras,
fermement accrochés au volant, s’éclairent à chaque fois qu’il passe sous un
réverbère, et puis tout redevient noir, comme ses habits, comme son âme. Il est
toujours triste, en repartant de cet endroit. Cette ville, qu’il connait si
bien, trop bien, par cœur. Normal, c’est sa ville. A pied, en voiture, en
tramway, ses semelles usées ont foulé chaque recoin possible et inimaginable.
Sa tête est pleine de souvenir, s’il détourne un seul instant le regard de la
route. Une poignée de main, une soirée arrosée, un baiser volé. Et elle,
toujours. Ce poids mort qu’est son cœur ne peut l’oublier. Alors que c’est lui
qui s’est tiré, comme un voleur, par une autre nuit noire, encre de chine et
lampadaires, une nuit comme celle-là. Un souvenir oublié au coin d’une rue,
comme une valise sur un quai de gare. Mais étrangement, il se sent toujours lié
à cette mémoire, là même où il a trop pleuré. Marrant pour un gars qui se
targue de ne jamais se perdre, avoir un sens de l’orientation solide, et ne pas
arriver à se retrouver soi-même, n’être plus qu’une coquille sans repères, ni
même un home sweet home. Vide, il sent une larme monter, puis couler, rejoindre
la commissure de ses lèvres. Distraitement, en accélérant, il l’avale. Goût
salé. Amertume des regrets. Confiture acrimonieuse de la mémoire. Il roule.
Appuie sur l’accélérateur. A fond, pied au plancher. Il avale les mètres. Fuite
en avant, encore, et toujours. La même sensation. Trop vite. Il brûle ses
dernières cartouches, adrénaline, il glisse. Main sûr, sur le volant. Défier la
physique. Les feux tricolores. Les autres voitures. Droite gauche, esquive, demi-queue
de poisson. Passer une avenue, à tout berzingue. Et puis, le feu. Passe à
l’orange. Appuyer sur le frein ? Pousser l’accélération ? Passer
quand même ? Instinct de (sur)vie. Il lâche la pédale de droite, et force
à fond au milieu. Crissement des pneus. Et l’arrêt. Aucune brutalité. Juste
passer les vitesses. Et se laisser aller, en avant. Tête contre le volant. Ivre
de fatigue et de regret. Se laisser à pleurer. Seul, dans l’habitacle noir. Feu
rouge. Le même, où il s’est arrêté il y a si longtemps. A attendre, qu’un jour,
il ait la force de relancer sa machine et passer au vert. Un jour. Mais quand ?
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