lundi 7 décembre 2015

Détour de conversation

–Oui, tu l’aimes quoi.

L’évidence frappe comme un éclair, sonne comme un gong, tombe comme un ange qui passe. Soupir las, désabusé, cynique. En est-il vraiment amoureux ? Il n’a pas vraiment envie de se poser la question. Pourquoi faudrait-il qu’il en soit amoureux hein ? Ne peut-on trouver une jeune fille élégante, drôle et fichtrement cultivée sans avoir envie de devenir son amant ? Il faut croire que non. Le babil de son amie continue sur la même veine. Démonstration mathématique à partir de sa gêne pour prouver par A+B, ou B+B, ou ABAB, enfin, sur n’importe quel rythme poétique ou scientifique, qu’elle a raison et que lui devrait arrêter de se voiler la face. A vrai dire, s’il fait mine de n’avoir jamais envisagé la question, il sait parfaitement, demi-mensonge, que l’idée lui trotte en tête depuis sa première rencontre avec elle, par un joli matin de septembre. Il ne croit pas aux coups de foudres, cela n’existe que dans les romans à l’eau de rose qu’il lit après les avoir planquées sous la jaquette d’un beau livre de chez Minuit et les comédies romantiques qu’il regarde en cachette le dimanche soir. Pour passer le temps. Espérer à quelque chose de grand. Ou éviter de se branler sur la toile. Autre moyen d’oublier, se vider les tripes pour combler le manque de sens de sa vie. Mais qui est aussi nul que se cacher derrière la façade exécrable d’un enfoiré qui assume totalement, sans complexe, d’être un fils de pute de bâtard plutôt que laisser entrevoir un seul instant sa véritable personnalité. Un romantique, désabusé certes, mais toujours aussi mièvre, qui refuse de voir l’évidence. Il est un gentil garçon, trop gentil peut-être, et comme on dit, trop gentil, trop con. Alors il se carapace derrière une aigreur froide, méchante, cynique. Le genre de choses qui le fait passer pour un petit con, alors qu’il est tout autre chose, mais qu’il ne veut pas l’admettre, et surtout, montrer. Pour vivre vieux, vivons cachés. Et si les cochons ne deviennent pas vieux, les vieux qu’est-ce qu’ils deviennent cochons.

Il louvoie dans la discussion, esquive, passe à autre chose. Autre manière de refuser le mur, et la douleur, dans laquelle la simple supposition émise par son interlocutrice risque de le plonger. S’il osait. Ou même sans l’oser. Il se connait trop bien, à faire des rêves légèrement salaces, sans être complètement pornographique, il se laisserait aller à un espoir évidemment réfuté dans les minutes qui suivent par la réalité de la condition humaine. En fait, ce qu’il lui faudrait, c’est une bonne psychanalyse. Il le sait, mais il n’ose se l’avouer. Encore ce terme, oser. Comme s’il fallait un quelconque courage pour se connaître. Conneries, il se connait trop bien. Il a juste pas envie de mettre des mots sur…Sur quoi ? Son malaise en société ? Son mal être ? Son envie de gerber dès qu’il sort dans la rue ? Ou même simplement lire les commentaires d’un journal ? Il se demande souvent où va le Monde, conscient du passé, trop conscient peut-être, pour avoir envie de jeter un œil à l’avenir sombre. Bien entendu, il n’est pas prophète, et même il est plutôt de bons conseils, surtout quand ça ne le touche pas lui. Mais pour le reste, il est totalement pessimiste. Pire. Il se cache derrière le miroir de la condescendance et un savant vernis de culture pour ne pas montrer qu’il n’est qu’un enfant terrorisé à l’idée de vivre. Parce que souffrir, c’est pour les gens forts. Les surhommes, comme dirait l’autre. Pas un petit gars qui se sait doué, pour beaucoup de choses, trop de choses peut-être, mais qui refuse de s’investir sérieusement dans l’une. De peur d’échouer. De se planter. Lamentablement. Finir en rade, seul, sur un trottoir, c’est peut-être plus souhaitable que risquer de se faire mal, ou pire, de faire du mal. Pourtant, paradoxe, il ne supporte plus, ou pas, ou il n’a jamais supporté, qu’importe, sa solitude. Alors, il hésite, il erre, il égrène la litanie de choses passées, pour ne pas se laisser aller dans le présent, cueillir le jour, et demain, peut-être, rêver à un temps de rouges cerises. Non, décidément, il n’a pas envie de se laisser à tomber amoureux. Et croire que le bien, c’est aussi pour lui, lui qui se veut maudit parmi les maudits pour ne pas être ce qu’il est vraiment. Un éternel gamin romantique qui meurt d’envie de vivre. 

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