Midi, par un soleil tiède d’hiver à peine tiède. Le grand navire de
guerre venait de s’amarrer sur un des quais bondé de Fort-de-France, les voiles
avaient été affalées, les bouts fixés
aux bittes. On venait à peine de jeter un ponton que les marins
descendaient à terre. Il faisait beau, la traversée du Grand Océan avait été
rapide et le navire n’avait pas essuyé la moindre tempête. A la fin de l’après-midi,
un jeune officier, uniforme bleu roi parfaitement ajusté et repassé, sabre au
côté et tricorne vissé sur la tête descendit lui aussi à terre. Il connaissait
bien le port, et n’avait qu’une envie, allait se gargariser la gorge avec une
bonne topette de rhum de chez Clément. Et pour cela, il n’y a qu’un seul
endroit : le Royal.
Il traversa la rade militaire, où étaient stockés des
barils de vivres et de poudres, avant de passer sur le port de commerces où
s’entassaient les ballots de coton et de denrées des Amériques.
Il marchait vivement, bien que
légèrement claudiquant, à travers les ruelles boueuses de Fort-de-France. Il
traversa le grand marché, où, sous les auvents que l’on commençait à peine à
remballer, se vendaient toutes les merveilles de Nouvelle France, fruits
exotiques, animaux chamarrés et autre plants de chocolat et de tabacs. La vie
était colorée, tumultueuse, on se poussait, on se croisait, blancs de France,
nègres marrons et esclaves, femmes et enfants, grand bourgeois et marins ou
prostitués ; mais l’on pouvait aussi remarquer toute une population
d’animaux, volailles, cochons et chèvres, qu’on laissait en totale liberté.
L’odeur tenace d’urine et de fange agaçait son odorat fin, surtout après trois
semaines passées à sentir les embruns du grand large.
Heureusement, il approchait de la muraille du fort, et de son but. En
effet, accoudé au rempart de pierres noires, il pouvait voir l’auberge peinte
dans un rouge vif, et sa fabuleuse enseigne en fer forgé représentant un
trois-mâts frappé au cœur d’une fleur de Lys. Le Royal, la taverne des
officiers de Martinique. Le bâtiment comportait deux étages, le premier, où
toutes les fenêtres étaient ouvertes, comptaient bon nombre de chambres et de
garnis pour officiers de passages. Le rez-de-chaussée lui était ouvert aux
quatre vents, pour mieux filtrer l’air dense et humide de l’île. Le jeune
officier s’avança, deux hommes se tenaient devant la porte, l’un assis sur un
beau siège en bois, gilet bleu d’aspirant, le second appuyé sur le chambranle,
en bras de chemise, jouant aux échecs sur une petite table en bois d’ébène. L’homme
debout fumait. Lorsqu’il vit le jeune officier approcher, il se mit en travers
de la porte, en lui faisant un grand sourire.
« André, cela fait bien longtemps mon ami » dit-il en
embrassant vigoureusement le jeune officier
« Jean, toujours vivant vieux corsaire ? » lui rendant
une claque monumentale sur les épaules
« Héhé, comme tu le vois mon vieux. Alors, tu viens bouter le
rosbeef hors des terres de notre Roy ? Tu devrais faire attention à ne pas
te faire prendre ta place par mon jeune ami ici présent » Jean montrait le
jeune homme concentré sur l’échiquier, qui hocha simplement la tête avant de
retourner à ses pensées
«Il faut toujours du sang frais pour Dieu et le Roy. Je causerai
volontiers plus ce jourd’hui, mais d’abord, il me faut prendre une bonne
tournée de rhum. Tiens, tant que j’y suis, tu demanderas à Eustache de t’amener
une bonne bouteille de nos vins d’Anjou, sur mon ardoise bien sûr. »
« Haha, je n’y manquerai pas si c’est toi qui payes »
André entra alors dans la grande salle. Les ténèbres commençaient de
tomber dehors, il s’approcha du comptoir.
« Eustache, une topette de rhum, et du bon, de chez
Clément. »
« Tout de suite m’sieur André, m’avait bien semblé avoir reconnu
vot’ voix m’sieur » le jeune homme derrière le bar en bois précieux, à
moitié endormi, s’était levé. Grand, rouquin dégingandé, il portait à la main
un crochet, souvenir de sa courte carrière de mousse sur l’Apollon, navire de
sa majesté désormais coulé par le fond par ces diables d’anglais. C’était là
que le jeune noble l’avait rencontré.
Il entraina André jusqu’à une
table du fond, pas trop loin du foyer où cuisaient de beaux poulets boucans,
mais dans un recoin assez sombre, comme l’officier l’aimait. Il revint peut
après avec une longue flasque en grès entourée de paille, remplie d’eau, et une
bouteille en verre pleine de rhum. « Voilà m’sieur, voté ti’décollage,
comme d’habitude »
André lui tendit quelques piécettes en remerciant, lui demandant
d’envoyer une bouteille de vin d’Anjou à ces messieurs dehors. Une fois seul,
il se mit à boire, dans son coin, regardant la salle qui allait s’emplir peu à
peu…
Sympa ! ;-)
RépondreSupprimerJe pense que le rhum Clément n'existait pas ou alors sous un autre nom, de colon surement, à l'époque de l'histoire. Mais on s'en fiche ! Trinquons !