AE 3 : Arthur Rimbaud, « Les
Assis »
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La jeune femme barre une
dernière fois d’un trait rouge la copie, avant d’inscrire une note passable.
Elle prend la bouteille d’eau à la droite de son bureau, à côté de son tas de feuilles
corrigées, verse le liquide dans un verre. Tout en le buvant, elle scrute
attentivement les cinq colonnes de bureaux, alignées dans un ordre parfait ;
huit bureaux par colonnes, huit élèves en train de plancher, en tout, ils sont
quarante.
Tous grattent à une vitesse folle leurs copies, dos cassés, nez collés
dessus, prenant à peine le temps de relire leurs notes, boire une gorgée d’eau
ou croquer un fruit sec. Ils doivent aller vite, les aiguilles de la grande
horloge en bois tournent, seconde après seconde, balancier funeste qui présage
la in du devoir. La professeure, tailleur noir, chemisier blanc, se retourne
vers l’horloge et sourie, une heure moins le quart avant la fin de l’épreuve.
Elle regarde toujours l’assemblée des élèves, garçon et filles
habillés du même uniforme noir, seule note de couleur, le blason vert et rouge
de l’école.
Elle balaie l’antique salle en pierre, cathédrale du savoir, de ses
yeux verts. Elle hume cette odeur caractéristique du vieux chêne des poutres et
du parquet, sur lequel sont fixés des bancs, polis par des générations d’élèves.
Elle se souvient, elle a été à leur place ; elle a connu les
longues heures de classe de l’aube au soir, les professeurs, vénérables
dinosaures, assis droit dans la chaire qu’elle occupe maintenant. Elle se rappelle
même au fond de ses tripes l’angoisse qu’elle peut lire sur les visages
juvéniles, les coups d’œil discret à son voisin ou sa voisine, pour savoir où
il en est, les mots et les déclinaisons épelés du bout des lèvres ; elle
se souvient encore des messes basses et des petits mots échangés furtivement d’une
table à l’autre. Elle sourit, le ballet mille fois répétés se joue devant ses
yeux et, comme des milliers d’enseignants, elle fait semblant de ne voir que
les cas les plus flagrants. Elle rit intérieurement quand elle voit les joues d’une
jeune fille rosir après avoir détourné le regard de sa voisine, elle rit de
même aux simagrées d’un jeune homme au milieu de la salle, visage contracté par
un effort de mémoire intense, bouches et yeux plissés comme deux fentes
tordues, mentons durci comme prêt à recevoir une gifle.
Vingt-cinq minutes, le surveillant à sa gauche baille, avant de
reprendre le cours de son roman, les
Frères Karamazov, elle croise des bras, des doigts de sa main droite elle
tapote en rythme son bureau. Au fond, une chaise grince, le gros garçon qui est
dessus lève vivement les yeux, désolé d’avoir dérangé ses camarades. Au premier
rang, une jeune fille change pour la quatrième fois sa cartouche, avant d’entame
sa quatrième copie double. Certains corps commencent à s’agiter, la fin est
proche, il faut se presser.
Dix minutes. Elle fronce les sourcils ; au fond de la salle, un
jeune homme, cheveux bruns, mince, lunettes cerclés de fer, regarde depuis le
début de l’épreuve par la fenêtre, rêveur. On dirait qu’il vient à l’instant de
s’éveiller, les yeux hagards, il regarde tout autour de lui, se penche sur sa
copie, il ouvre son stylo plume et note quelques mots, il relève son visage,
parcourt la rangée de dos devant lui, croise le regard mi intrigué mi furibond
de la professeure avant de regarder la grande horloge en bois, il sourit, puis
se remet à sa contemplation des arbres d’automne de la cour.
Le grattement des stylos sur le papier se fait plus intense, crissement
pressant, vite, vite, il faut conclure, la fin est proche. Un professeur entre
dans la salle, toise le jeune surveillant et les élèves, avant d’aller glisser
quelques mots à l’oreille de la jeune professeure, puis il se met à la droite
du bureau, droit comme un i, au garde à vous. Cinq minutes, certains
abandonnent, résignés, et se relèvent comme des cyclistes après une longue
course. D’autres continuent d’écrire, jusqu’au bout, Le gros garçon qui a fait
grincer sa chaise se relève, le front en sueur. Il se tourne vers le jeune
homme maigre du fond, qui lui décoche en retour un clin d’œil.
La jeune fille du premier rang relit attentivement sa copie, avant de
se tourner, exultant la joie de celle qui a réussi son épreuve et quémandant l’admiration
de tous. Les autres relisent en silence leurs copies, ceux qui ont abandonné se
lance des coups d’œil et bavardent à mi-voix, jusqu’à ce que le professeur leur
demande de se taire. La jeune professeure regarde sa montre, une minute, les
secondes passent. La sonnerie se déclenche, un soupir de soulagement parcourt
les rangées, c’est fini. Certains grattent encore, mais bien vite le
surveillant et le professeur arrachent les copies des réfractaires. Les élèves
se redressent, réajustent les cols ouverts de leurs uniformes noirs, font
craquer leurs dos et assouplissent leurs muscles tétanisés. On se lève, on
passe les copies qui s’entassent devant la jeune professeur. Déjà, les premiers
sortis rient et se détendent, s’envoyant boutades et compliments, comparant
leurs sacro-saints plans en trois parties. La jeune fille du premier rang se
retrouve au sein de son cercle d’amies, et plaisante sur la facilité de l’examen.
Au fond de la salle, le jeune homme brun se lève, s’étire comme un chat, blague
au passage avec deux camarades avant de tendre sa copie à la professeure, un
sourire canaille aux lèvres, puis de sortir de la salle. La jeune professeure
lit sa copie, à la question « commentez le poème « Les Assis » d’Arthur Rimbaud »
il n’a répondu que par cette phrase : « Ils n’avaient qu’à se lever ».
Génial ! wouarf wouarf wouarf ! ;-)
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