Chers lecteurs, chères lectrices, je vous souhaite à tous un Joyeux Noël et une bonne fin d'année, qui laissera présager d'un nouvel an radieux et heureux!
Ami lecteur, amie lectrice, soyez les bienvenus sur ce blog d'un jeune auteur. De la fantasy, de la littérature, des essais de romans ou de simples nouvelles, ici se trouve un monde panaché que je t'invite à explorer selon tes envies. Tu décèleras certainement des fautes et des erreurs de style, ne passe pas cependant ton chemin et poste plutôt une critique constructive. Je les lirai avec grand plaisir et en tiendrai compte! Merci d'avance et bonnes lectures !
dimanche 25 décembre 2011
samedi 17 décembre 2011
Une bonne topette de rhum, suite
La nuit était désormais tombée. L’on pouvait entendre le murmure de la
rue animée par la douce fraîcheur du soir et voir passer une foule de badauds
dans les rues éclairées par de grandes torches résineuses, autour desquelles
s’agglutinaient foule de moustique et autres papillons de nuit. André
s’essuyait la bouche après un copieux repas composé de boudins créoles, puis
d’un poulet boucané servi avec un lit de carotte et de pommes de terre, le tout
arrosé d’une bonne bouteille de Bordeaux. En guise de digestif, il buvait à
petite gorgées un verre d’Armagnac, directement importé de France, doux et sucré
comme il le fallait, tout en contemplant la salle.
Eustache avait été rejoint par deux jolies garces du cru, la vingtaine,
grande, peau couleur café latte et longues tresses de cheveux noires crépues
où dansaient aux moindres mouvements des
centaines de perles de verroterie de qualité. Elles devaient vraisemblablement
être sœur, vêtues des mêmes robes de toiles multicolores, tant affectionnées
par les filles créoles. Elles servaient à tour de bras les plats que le
maître-queue faisait cuire directement dans la salle, où régnait une puissante
odeur de viande et autres légumes mijotés, et remplissaient les godets des
joyeux drilles qui emplissaient la salle.
Un orchestre composé d’une viole, d’un clavecin et d’un violoncelle jouait
des airs entrainants de Lully et autres grands compositeurs raffinés de France
du haut d’une mezzanine, de la balustrade, ils auraient pu toucher chandelier
allumé tous les soirs afin de régaler la vue des gentilshommes et leur rappeler
les souvenirs de la Mère Patrie. Le Royal n’était pas pour rien la meilleure
hostellerie de la Martinique, si ce n’est des Îles sous le Vent.
Le patron, un vieux bourgeois venu de Paris, était venu s’installer en
Nouvelle France après une jeunesse mouvement à ce qu’on disait. Désormais
vieilli, crâne dégarni et panse rebondi sous un tablier blanc, propre comme s’il
venait d’être lavé, il passait entre les tables, s’enquérant de la santé de
tous, ayant toujours un mot ou une tirade, connaissant par son nom tous les
habitués et capables de connaître presque tous leurs péchés mignons. Il vaquait
toujours avec cet air bonhomme et réjoui de l’homme quasiment ivre constamment,
mais seulement à moitié. André savait toutefois qu’il ne manquait rien de ce
qui pouvait se passer en salle, prêt à intervenir au moindre dérapage.
En effet, outres quelques grands propriétaires des environs descendus
à la ville pour s’encanailler et petits bourgeois un peu fortuné,
reconnaissables par leurs pourpoints et perruques qu’ils croyaient être de la
dernière mode parisienne, la majorité de l’assemblée était composée de gens de
mer et de guerre, tous vêtus d’uniformes chamarrés. Se côtoyaient officiers du
fort dans leurs habits blancs, qui se tenaient comme d’habitude plutôt vers le
fond de la salle, du côté d’André, bien regroupés, colloquant entre eux et
buvant du tafia. Ils évitaient les nombreux cadres de marine, tous issus de
bonne noblesse et pour la plupart pouvant remonter des lignées de gens d’armes
quasiment jusqu’aux croisades. Tous portaient leurs uniformes bleu rois
savamment repassés et se tenaient plus vers l’entrée de la salle, quasiment un
pied dehors, à attendre un ami pour partir jouer aux cartes ou discourir
galamment avec quelques putains des quartiers hauts de la ville.
Il était bien sûr de bon ton de
ne pas discuter entre corps opposés, mais parfois, de vieilles querelles de
familles venues de la métropole, ou le simple plaisir de courir les poux
intrinsèque à la bonne noblesse d’arme française pouvait se régler à deux pas
de là, dans les douves du fort, au prix d’une bonne saignée, nous étions entre
gens biens nés que Diable, la mort d’un bon soldat du Roy en ce-temps troublé
était peu recommandé si l’on ne voulait pas finir face à un peloton, ou pire,
une corde de bon chanvre filée à la Rochelle comme dernier nœud de cravate, tel
le dernier des paysans de la Beauce…
mardi 29 novembre 2011
Une bonne topette de rhum
Midi, par un soleil tiède d’hiver à peine tiède. Le grand navire de
guerre venait de s’amarrer sur un des quais bondé de Fort-de-France, les voiles
avaient été affalées, les bouts fixés
aux bittes. On venait à peine de jeter un ponton que les marins
descendaient à terre. Il faisait beau, la traversée du Grand Océan avait été
rapide et le navire n’avait pas essuyé la moindre tempête. A la fin de l’après-midi,
un jeune officier, uniforme bleu roi parfaitement ajusté et repassé, sabre au
côté et tricorne vissé sur la tête descendit lui aussi à terre. Il connaissait
bien le port, et n’avait qu’une envie, allait se gargariser la gorge avec une
bonne topette de rhum de chez Clément. Et pour cela, il n’y a qu’un seul
endroit : le Royal.
Il traversa la rade militaire, où étaient stockés des
barils de vivres et de poudres, avant de passer sur le port de commerces où
s’entassaient les ballots de coton et de denrées des Amériques.
Il marchait vivement, bien que
légèrement claudiquant, à travers les ruelles boueuses de Fort-de-France. Il
traversa le grand marché, où, sous les auvents que l’on commençait à peine à
remballer, se vendaient toutes les merveilles de Nouvelle France, fruits
exotiques, animaux chamarrés et autre plants de chocolat et de tabacs. La vie
était colorée, tumultueuse, on se poussait, on se croisait, blancs de France,
nègres marrons et esclaves, femmes et enfants, grand bourgeois et marins ou
prostitués ; mais l’on pouvait aussi remarquer toute une population
d’animaux, volailles, cochons et chèvres, qu’on laissait en totale liberté.
L’odeur tenace d’urine et de fange agaçait son odorat fin, surtout après trois
semaines passées à sentir les embruns du grand large.
Heureusement, il approchait de la muraille du fort, et de son but. En
effet, accoudé au rempart de pierres noires, il pouvait voir l’auberge peinte
dans un rouge vif, et sa fabuleuse enseigne en fer forgé représentant un
trois-mâts frappé au cœur d’une fleur de Lys. Le Royal, la taverne des
officiers de Martinique. Le bâtiment comportait deux étages, le premier, où
toutes les fenêtres étaient ouvertes, comptaient bon nombre de chambres et de
garnis pour officiers de passages. Le rez-de-chaussée lui était ouvert aux
quatre vents, pour mieux filtrer l’air dense et humide de l’île. Le jeune
officier s’avança, deux hommes se tenaient devant la porte, l’un assis sur un
beau siège en bois, gilet bleu d’aspirant, le second appuyé sur le chambranle,
en bras de chemise, jouant aux échecs sur une petite table en bois d’ébène. L’homme
debout fumait. Lorsqu’il vit le jeune officier approcher, il se mit en travers
de la porte, en lui faisant un grand sourire.
« André, cela fait bien longtemps mon ami » dit-il en
embrassant vigoureusement le jeune officier
« Jean, toujours vivant vieux corsaire ? » lui rendant
une claque monumentale sur les épaules
« Héhé, comme tu le vois mon vieux. Alors, tu viens bouter le
rosbeef hors des terres de notre Roy ? Tu devrais faire attention à ne pas
te faire prendre ta place par mon jeune ami ici présent » Jean montrait le
jeune homme concentré sur l’échiquier, qui hocha simplement la tête avant de
retourner à ses pensées
«Il faut toujours du sang frais pour Dieu et le Roy. Je causerai
volontiers plus ce jourd’hui, mais d’abord, il me faut prendre une bonne
tournée de rhum. Tiens, tant que j’y suis, tu demanderas à Eustache de t’amener
une bonne bouteille de nos vins d’Anjou, sur mon ardoise bien sûr. »
« Haha, je n’y manquerai pas si c’est toi qui payes »
André entra alors dans la grande salle. Les ténèbres commençaient de
tomber dehors, il s’approcha du comptoir.
« Eustache, une topette de rhum, et du bon, de chez
Clément. »
« Tout de suite m’sieur André, m’avait bien semblé avoir reconnu
vot’ voix m’sieur » le jeune homme derrière le bar en bois précieux, à
moitié endormi, s’était levé. Grand, rouquin dégingandé, il portait à la main
un crochet, souvenir de sa courte carrière de mousse sur l’Apollon, navire de
sa majesté désormais coulé par le fond par ces diables d’anglais. C’était là
que le jeune noble l’avait rencontré.
Il entraina André jusqu’à une
table du fond, pas trop loin du foyer où cuisaient de beaux poulets boucans,
mais dans un recoin assez sombre, comme l’officier l’aimait. Il revint peut
après avec une longue flasque en grès entourée de paille, remplie d’eau, et une
bouteille en verre pleine de rhum. « Voilà m’sieur, voté ti’décollage,
comme d’habitude »
André lui tendit quelques piécettes en remerciant, lui demandant
d’envoyer une bouteille de vin d’Anjou à ces messieurs dehors. Une fois seul,
il se mit à boire, dans son coin, regardant la salle qui allait s’emplir peu à
peu…
dimanche 27 novembre 2011
Complainte de la Bête
Petit billet d'humeur, pleins de regrets et d'inactions...Pour deux femmes chères à mon cœur, mais disparues depuis trop longtemps...
A l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, vous pouvez parfois
entendre, dans le lointain, une complainte, douce mélodie du regret et de la
haine qu’un homme peut se porter. Ce n’est une petite litanie mille et mille
fois répétées, mais si vous l’entendez, alors, vous comprendrez enfin ce qu’est
un Roi sans divertissement, et l’inanité de la Condition Humaine. Voilà, en
quelques mots, ce que j’ai pu entendre un jour, perdu en bord d’un fleuve, dans
un épais brouillard…
« Elle n’est qu'une mouche qui tourne autour de vous, un masque
réfléchissant dans lequel vous pouvez contempler tous ce qu’il y a d’haïssable et
de vicié dans l’Homme. Elle n’est qu'une Bête, venez la voir, contemplez la,
soyez dégouté et haïssez-la. Oui rejetez-la au loin, la Bête est faite pour
cela. Oui, moquez-vous d’elle, c’est sa tâche, sa tare, son orgueil. Oui,
venez, approchez, sacrifiez là sur l’autel de vos peurs, elle n’en a plus pour
longtemps, elle est déjà morte, le sourire aux lèvres… »
samedi 19 novembre 2011
The Promise of the World
A lire en écoutant : The Promise of the World
http://www.youtube.com/watch?v=tw3HlyVTKCk&feature=related
http://www.youtube.com/watch?v=tw3HlyVTKCk&feature=related
« M’accorderez-vous cette danse ? »
Tu souris lorsque je tends la main, que tu saisis de tes doigts gantés
de blanc. Tu acquiesces, toujours dans ce demi-sourire moqueur, petite moue
jolie qui me fait toujours craquer, comme tes yeux pétillant, vert.
Je t’entraine, main dans ta main, vers la petite piste de danse de cet
antique bar, lieu intemporel de nos amours et de nos joies enfuis. C’est un
petit carré d’à peine quelques mètres de côtés, entourés des tables en bois précieux
recouvert de napperon de dentelle rouge, et les gros fauteuils à l’anglaise de
la même couleur. Te souviens-tu ? C’est ici que je t’ai rencontré, lors de
cette folle soirée avec tous nos amis, c’est ici que pour la première je t’ai
embrassé, sur cette même chanson, The Merry Go round. L’orchestre est toujours
là, sur son estrade en bois patiné noir. Le vieux contrebassiste, le pianiste
et la batterie, à peine plus jeune, jouent toujours ce rythme de jazz
entrainant. Je tiens fermement ta main droite dans la mienne, enserrant de la
gauche ta taille toujours aussi svelte.
Tes cheveux roux, désormais parsemés de fils d’argents qui rehausse la
profondeur de ta couleur naturelle, me touchent presque les doigts, je les
frôle si je remonte à peine ma main. Je te guide mollement, et nous dansons,
cette si jolie valse, valse de nos amours, valse de notre vie. Certains de nos
amis de ce temps-là ne sont plus, les enfants qui n’étaient alors que de vagues
projets ont grandi, et nous, main dans la main, nous avons vieilli, mais
toujours nous nous retrouvons dans cet espace hors du temps des mortels, pour
se retrouver. Alors, comme à chaque fois tu me glisses à l’oreille :
« Est-ce que tu m’aimes ? »
Je ne réponds pas, je me contente de fixer tes yeux verts toujours
aussi jeune, dans lequel je lis tout ton amour. Bien sûr que je t’aime, oui je
t’aime, et je t’aimerai, jusqu’à la fin de nos jours…
jeudi 17 novembre 2011
AE 3 Les Assis
AE 3 : Arthur Rimbaud, « Les
Assis »
http://wheatoncollege.edu/academic/academicdept/French/ViveVoix/Resources/assis.html
La jeune femme barre une
dernière fois d’un trait rouge la copie, avant d’inscrire une note passable.
Elle prend la bouteille d’eau à la droite de son bureau, à côté de son tas de feuilles
corrigées, verse le liquide dans un verre. Tout en le buvant, elle scrute
attentivement les cinq colonnes de bureaux, alignées dans un ordre parfait ;
huit bureaux par colonnes, huit élèves en train de plancher, en tout, ils sont
quarante.
Tous grattent à une vitesse folle leurs copies, dos cassés, nez collés
dessus, prenant à peine le temps de relire leurs notes, boire une gorgée d’eau
ou croquer un fruit sec. Ils doivent aller vite, les aiguilles de la grande
horloge en bois tournent, seconde après seconde, balancier funeste qui présage
la in du devoir. La professeure, tailleur noir, chemisier blanc, se retourne
vers l’horloge et sourie, une heure moins le quart avant la fin de l’épreuve.
Elle regarde toujours l’assemblée des élèves, garçon et filles
habillés du même uniforme noir, seule note de couleur, le blason vert et rouge
de l’école.
Elle balaie l’antique salle en pierre, cathédrale du savoir, de ses
yeux verts. Elle hume cette odeur caractéristique du vieux chêne des poutres et
du parquet, sur lequel sont fixés des bancs, polis par des générations d’élèves.
Elle se souvient, elle a été à leur place ; elle a connu les
longues heures de classe de l’aube au soir, les professeurs, vénérables
dinosaures, assis droit dans la chaire qu’elle occupe maintenant. Elle se rappelle
même au fond de ses tripes l’angoisse qu’elle peut lire sur les visages
juvéniles, les coups d’œil discret à son voisin ou sa voisine, pour savoir où
il en est, les mots et les déclinaisons épelés du bout des lèvres ; elle
se souvient encore des messes basses et des petits mots échangés furtivement d’une
table à l’autre. Elle sourit, le ballet mille fois répétés se joue devant ses
yeux et, comme des milliers d’enseignants, elle fait semblant de ne voir que
les cas les plus flagrants. Elle rit intérieurement quand elle voit les joues d’une
jeune fille rosir après avoir détourné le regard de sa voisine, elle rit de
même aux simagrées d’un jeune homme au milieu de la salle, visage contracté par
un effort de mémoire intense, bouches et yeux plissés comme deux fentes
tordues, mentons durci comme prêt à recevoir une gifle.
Vingt-cinq minutes, le surveillant à sa gauche baille, avant de
reprendre le cours de son roman, les
Frères Karamazov, elle croise des bras, des doigts de sa main droite elle
tapote en rythme son bureau. Au fond, une chaise grince, le gros garçon qui est
dessus lève vivement les yeux, désolé d’avoir dérangé ses camarades. Au premier
rang, une jeune fille change pour la quatrième fois sa cartouche, avant d’entame
sa quatrième copie double. Certains corps commencent à s’agiter, la fin est
proche, il faut se presser.
Dix minutes. Elle fronce les sourcils ; au fond de la salle, un
jeune homme, cheveux bruns, mince, lunettes cerclés de fer, regarde depuis le
début de l’épreuve par la fenêtre, rêveur. On dirait qu’il vient à l’instant de
s’éveiller, les yeux hagards, il regarde tout autour de lui, se penche sur sa
copie, il ouvre son stylo plume et note quelques mots, il relève son visage,
parcourt la rangée de dos devant lui, croise le regard mi intrigué mi furibond
de la professeure avant de regarder la grande horloge en bois, il sourit, puis
se remet à sa contemplation des arbres d’automne de la cour.
Le grattement des stylos sur le papier se fait plus intense, crissement
pressant, vite, vite, il faut conclure, la fin est proche. Un professeur entre
dans la salle, toise le jeune surveillant et les élèves, avant d’aller glisser
quelques mots à l’oreille de la jeune professeure, puis il se met à la droite
du bureau, droit comme un i, au garde à vous. Cinq minutes, certains
abandonnent, résignés, et se relèvent comme des cyclistes après une longue
course. D’autres continuent d’écrire, jusqu’au bout, Le gros garçon qui a fait
grincer sa chaise se relève, le front en sueur. Il se tourne vers le jeune
homme maigre du fond, qui lui décoche en retour un clin d’œil.
La jeune fille du premier rang relit attentivement sa copie, avant de
se tourner, exultant la joie de celle qui a réussi son épreuve et quémandant l’admiration
de tous. Les autres relisent en silence leurs copies, ceux qui ont abandonné se
lance des coups d’œil et bavardent à mi-voix, jusqu’à ce que le professeur leur
demande de se taire. La jeune professeure regarde sa montre, une minute, les
secondes passent. La sonnerie se déclenche, un soupir de soulagement parcourt
les rangées, c’est fini. Certains grattent encore, mais bien vite le
surveillant et le professeur arrachent les copies des réfractaires. Les élèves
se redressent, réajustent les cols ouverts de leurs uniformes noirs, font
craquer leurs dos et assouplissent leurs muscles tétanisés. On se lève, on
passe les copies qui s’entassent devant la jeune professeur. Déjà, les premiers
sortis rient et se détendent, s’envoyant boutades et compliments, comparant
leurs sacro-saints plans en trois parties. La jeune fille du premier rang se
retrouve au sein de son cercle d’amies, et plaisante sur la facilité de l’examen.
Au fond de la salle, le jeune homme brun se lève, s’étire comme un chat, blague
au passage avec deux camarades avant de tendre sa copie à la professeure, un
sourire canaille aux lèvres, puis de sortir de la salle. La jeune professeure
lit sa copie, à la question « commentez le poème « Les Assis » d’Arthur Rimbaud »
il n’a répondu que par cette phrase : « Ils n’avaient qu’à se lever ».
samedi 12 novembre 2011
Tour du monde
Une bruine glaciale tombe sur les allées du cimetière du Père
Lachaise, forçant hommes et femmes à se réfugier ailleurs. Même le prêtre,
chasuble blanc et toque noire, s’enfuit en laissant deux silhouettes noires
devant une tombe que le fossoyeur vient à peine de celer d’une plaque de marbre
noir.
Les deux hommes, pantalons noirs, gilet et veston noirs, se tiennent
sous la pluie, l’un tête nue, devant la tombe, grand et mince, cheveux sombres
trempés tombant sur les yeux bleus glaces, le second en arrière, petit et rond,
se tient sous un parapluie de flanelle. Il se tait, regardant la douleur de son
ami, et ne sachant que faire.
Le plus grand des deux regarde fixement la tombe, et les mots
esquissés à l’or fin sur le marbre noir :
« Ci-gît la passion d’un homme, amour enfui trop tôt »
Ses joues sont baignées par la pluie, à moins que ce ne soit des
larmes. Il frissonne. A ce moment, son camarade resté en arrière s’approche,
passe le parapluie juste au-dessus de la chevelure trempée, et tend de sa main
libre le manteau de son ami.
« Viens Jérôme, il est temps de partir » dit-il, en serrant
d’une main douce mais ferme l’épaule de son ami.
Jérôme se tourne, hagard, il s’effondre dans les bras de son camarade.
Plus tard, les deux hommes se trouvent autour d’un canon plein, dans un café qui ne l'est pas moins, Jérôme
boit coup après coup, ses yeux rougis portent déjà les traces de l’ivresse. Son
ami, appelons le Franz, parle d’un voyage d’une voix vive et éméchée.
« …Mais oui Jérôme, c’est le meilleur moment. Il faut que tu
oublies, que tu te remettes en selle. Tu as ton doctorat, puis ta famille, mais
ce n’est pas le temps de penser à ce genre de choses. Viens avec moi, partons
loin, faisons…Un tour du monde, oui, un tour du monde mon ami » Franz boit
une longue gorgée d’alcool « Elle est morte, que peux-tu faire ?
Te tuer ? Voyons camarade, tu sais comme cela est stupide, et je parle d’expérience »
sur son visage se dessine une douleur passée, mais toujours présente « Rien
que nous, deux, partons loin, et vite. Demain soir, on prend le direct pour
Moscou, puis après le Transsibérien…Après, la Chine, le Japon…Que sais-je
encore, le Pacifique et l’Amérique, en passant par l’Inde ? »
« Vas y camarade, mais pars seul, je ne pourrais jamais partir et
la quitter ! Tu ne peux pas comprendre »
Franz regarde son ami, qui déblatère seul désormais devant son amour
perdu et ses souvenirs. Il doit agir, il se met en colère, et gifle brusquement
Jérôme, d’une mandale magistrale qui aurait brisé le cou de n’importe qui et
hurle presque cette tirade:
« Tu ne m’écoutes pas. Elle est morte, pour toi comme pour tous.
On l’appréciait, elle était notre amie comme à toi elle était ta femme…Oui je
la regrette, comme nous tous, moins que toi mais elle me manquera. Alors arrête
de faire l’enfant, réveille-toi que diable. Tu es Jérôme W, historien, homme de
culture, et par-dessus tout mon ami. Crois-tu qu’elle aurait souhaité que tu te
morfondes ? Au lieu de profiter de la douceur du monde ? Tu viendras,
ou je t’en recolle une de ce pas. »
Jérôme est interloqué, il n’a jamais vu Franz en rage comme cela. Il
le regarde, il regarde le sourire France de son ami. Il pense à elle, il
regarde son verre, et les bouteilles éparses, vides. Alors, il pleure.
Le lendemain, au soir, à la Gare de l’Est, deux voyageurs, habillé en
voyage, le plus petit en marron, et le second, dégingandé, en noir, montent
dans le rapide pour Moscou. Destination, le Monde…
Le train a ralenti en passant le Rhin. Leurs papiers ont été
contrôlés. Jérôme se terre dans le silence, corps appuyé contre la vitre
inondée de buée. Franz le regarde, ils sait que son ami ne somnole pas.
« Sais-tu ce qui te fait défaut ? »
« Pardon ? »
« Oui ce qui te manque, ton principal défaut…C’est la joie de
vivre. Oui tu ris à aux traits d’humour, tu sortais avec nous de cabaret en
cabaret les nuits, mais toujours tu gardais ce petit côté froid et distant, tes
yeux perdus dans le vague, à penser à elle. Toujours… »
Tandis que Franz continuait son monologue, Jérôme réfléchissait. Il se
souvenait de ces folles nuits de jeunesses dans leur mansarde, où ils
refaisaient le monde en buvant le vin que Franz, toujours lui, avait volé le
matin au Père Sommelier. Il se souvenait de ses journées de classe, dans leurs
blouses noires, cheveux coupés raz pour éviter les pandémies de poux et autres
bestioles. Puis ils avaient grandi, le lycée, le baccalauréat et les classes
préparatoires. Ils étaient toujours le même petit groupe d’amis, des frères
presque. Ils dilapidaient leur argent gagné à donner des cours dans des bouges
infâmes du quartier Latin, en vin et en jolies femmes. Tous sauf lui, Jérôme.
Oui il buvait, payait sa tournée lorsque c’était son heure, mais il n’était en
rien un agréable compagnon, il souriait mais toujours gardait une sorte de
mutisme. Sauf, oui sauf quand il la voyait. Elle. La jeune fille du seizième.
Il devait lui donner des cours de littérature classique, ainsi qu’un peu
d’histoire. Il se souvenait parfaitement de leur première rencontre, c’était
par une journée pluvieuse de novembre. Il était arrivé trempé, un domestique
lui avait enlevé son manteau, avant de le guider vers un petit salon. Tout
était vert, des tapisseries aux lourds tapis d’Orient. Il n’y avait pas un
bruit. Elle se tenait accoudée à la fenêtre, assise sur un petit banc, à
regarder les gouttes d’eau glisser lentement sur les parois de la vitre. Elle
s’était retournée, elle était belle. Une simple robe d’intérieur, vert profond,
qui rehaussait la beauté de ses yeux et l’éclat de ses longs cheveux roux. Il
avait commencé la leçon. Son parfum enivrant le troublait, lui, le professeur.
C’était la première fois qu’il ressentait cela. Chaque semaine, il revenait, et
toujours dans la rue, son corps commençait à trembler, il sentait son cœur
battre la chamade dans sa poitrine, prêt à exploser. Il la faisait travailler,
toujours elle était studieuse et concentrée, ses jolies lèvres faisaient une
moue enfantine charmante, tandis que sa plume grattait le papier. Sa main
délicate évoluait sur les grandes pages blanches comme un cygne sur un lac,
glissante, feutrée, sur l’onde des mots.
Un jour, ce fut la catastrophe, par inadvertance, à moins qu’elle ne
l’eut fait exprès, elle renversa l’encrier, tâchant ses belles mains fines.
Immédiatement, sans réfléchir, Jérôme lui attrapa la main et de son mouchoir de
flanelle essaya d’enlever l’encre bleu. Sa respiration s’était arrêtée, il la
regarda, son souffle, leurs souffles était rapide, elle rosissait, et elle
baissa son doux visage ver le sien et…
« Tu ne m’écoutes pas, je le sais. La joie de vivre de te fait
défaut, tu devrais prendre exemple sur ses jeunes soldats qui sont descendus à
Metz. Demain, si nos deux pays entrent en guerre, ils seront peut-être morts,
là, dans un champ de la frontière rhénane. Et pourtant, au rythme du violon du
sous-officier, ils chantaient une complainte de soldat, douce et mélancolique,
et pourtant, ils riaient avidement aux blagues graveleuses du vieil homme. Toi,
tu es seulement comme cette chanson, et elle aussi était pareille, douce et
mélancolique. Non, ne nie pas, vous vous aimiez car elle sortait de son rang,
et toi tu avais trouvé enfin une personne triste comme toi. Douce mélancolie.
Non, ce qu’il te faut, c’est une femme gaie et enjouée, qui t’entraine, tout en
acceptant ta réserve. Tous ceux qui te connaissent un peu savent combien tu
peux être chaleureux, mais toujours, au premier abord, tu es froid et distant,
car tu as peur, toujours, peur de te laisser entraîner. Ce voyage, mon ami, je
me jure que je vais t’apprendre à te laisser aller, et après, t’apprendre tout
simplement à vivre… »
Lentement, dans la nuit noire, le train reprend le cours normal de sa
marche, à toute vitesse. Demain, dès l’aube, il sera dans la campagne blanchie
de Berlin…
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