dimanche 10 août 2014

Sur une île déserte...

Se réveiller, brusquement. Frisson. Pourtant, ma peau est chaude. Garder les paupières mi-closes, un instant. Mon crâne semble s’être transformé en une peau de tambour qu’un démon s’acharne à frapper avec une contagieuse folie de grosses baguettes qui doivent être aussi énormes que la ramure du Grand Cerf. Démon…Mon dernier souvenir. Leurs crocs dans les ténèbres. Les hurlements. La peur. La mort. Pourtant, maintenant, je souffre. Et souffrir, c’est vivre. J’ouvre les yeux. 

Devant moi, un nuage d’étoile. Mes globes oculaires papillonnent un moment. Je n’en reconnais aucune. J’essaie de me lever. Mon bras droit fonctionne, mais le gauche…Une onde de douleur me tire, tandis que je sens un liquide poisseux et chaud dégouliner. Je saigne. Mais je sers les dents. Je suis…Qui suis-je au fait ? Aucune idée. Mes idées se remettent difficilement en place. Ma peau, couverte d’une sueur froide, et brûlante sous mes doigts qui palpent mon corps. Je sens des muscles, athlétiques, le corps d’un homme. Un nom, Lykaon, émerge dans mes souvenirs. Un nom qu’une mère a murmuré au creux de mon oreille afin de rasséréner l'enfant que j'ai été. Un nom qu’une femme a susurré tandis que je la prenais sur une plaine d’herbe fraîche et d’ajoncs. Un nom que le démon a crié en m’arrachant mes tripes à l'aide de ses griffes poisseuses du sang de mes amis. Nouveau frisson, de peur cette fois, à moins que ce ne fusse la fièvre, ou du dégoût. J’essaie de me relever mais je n’y arrive pas. La soif craquelle mes lèvres, heureusement que l’humidité nocturne me redonne un peau de courage, le temps de traverser ces vrilles de douleurs qui obscurcissent ma vision. Lykaon, je suis, un guerrier celte et…Pas grand-chose d’autres, en dehors de l’âcre odeur du sang. Me suis-je mordu ? A moins que ce ne soit ce maudit rêve ? Je sens encore la caresse du vent dans mes longs poils rendus humides par l’haleine de la rivière, les hurlements de la meute joyeuse partie à la traque de la Grande Bête, l’odeur du sang qui suinte de mille blessures. Et puis le goût, adipeux et sucré, du liquide vital dans lequel j’ai plongé des crocs rendus vermeil par l’ouverture béante des tripes dévidées par des museaux frémissants du plaisir de l'hallali. Je passe ma main sur mon visage. Rien, pas de crocs, pas de nez de molosse, pas de poil de bête fauve. Seulement les tempes hâves d’un humain mal rasé. J’ai dû me mordre dans mon sommeil, un cauchemar de plus. Et maintenant, il faut se relever.

Encore un instant, et puis je fais travailler mes abdominaux. Enfin assis. Je contemple ce lieu inconnu, tout autant que la myriade d’étoile qui éclaire les parages. La lune n’est pas là où je l’ai contemplé il y a…Combien de temps déjà ? Je ne sais pas. Je ne sais plus. Je suis perdu. Et surtout, terriblement seul. Un nouveau craquement. Les fauves doivent être de sortie, et je sens qu’ils feraient bien de moi un casse-croûte suffisant. Il va me falloir bouger, mais d’abord…D’abord vérifier ce bras douloureux. Je tâte précautionneusement la blessure. 9a saigne, abondamment. Cela brûle. C’est bon signe. J’ai le souvenir du vieux sage de ma tribu qui m’expliquait les simples. La douleur, c’est la vie. Du moins, c’est ce qu’il disait. J’hume quand même le trou. Pas d’odeur de pus ni de suppuration, la gangrène n’est pas encore là. J’arrache un bout de tissus quand même de ma tunique dépenaillé. La terre sous mes doigts n’est pas de l’argile, et je n’ose pas l’apposer sur ma blessure en guise d’emplâtre sommaire, donc c’est avec un manque d’habileté et des doigts gourds que j’essaye de serrer ma blessure tant bien que mal. Le haillon se gorgera vite de sang, mais autant faire contre mauvaise fortune bon cœur pour l’instant. 

Je me lève, enfin. La faim et la soif me tiraillent et je manque défaillir, tandis que la fièvre et la nausée m’assaillent. Effort de concentration, un pas, puis deux. Mes pieds marchent sur une terre rocailleuse, peu familière contrairement à mon Eire natale. Je crois qu’il me faut faire à l’évidence, ce rêve du Passeur n’en était pas totalement un. Je ne suis plus chez moi. Ne serait-ce que parce que ces odeurs de forêts, les grands pins et la faune nocturne ne ressemblent en rien à ce que j’ai connu avant, sur les plaines des Fiannas. Peut-être que je suis en Grèce, à la vue des pins et des milles odeurs que chantaient le vieux marchand phénicien qui chaque ghiver venait chercher les larmes des dieux, l'ambre, sur nos plages. Mais j’en doute sérieusement, rapport au étoiles qui ne sont pas là où elles devraient être. Je fais quelques pas. C’est dur mais j’y arrive. J’approche du bosquet. Là, je saisis une branche tombée et m’en fait un rudimentaire bâton de marche. Je l'ai choisie aussi assez forte pour pouvoir frapper un quelconque animal qui s'en prendrait à moi. De là, j’essaye de trouver quelques racines, ou au mieux, un champignon. De quoi se remplir le ventre. Et puis, oreilles à l’affût, je cherche à trouver quelque chose d’essentiel, avant même de trouver un abri provisoire pour explorer mon nouveau domaine et de répondre à cette injonction divine qui ne quitte pas mes fiévreuses pensées. J’écoute, tous mes sens en éveil, pour entendre le glougloutement de l’eau, au mieux un torrent, ou, au moins, un quelconque ruisselet pour étancher ma soif et commencer de purifier mes blessures…

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