(pour suivre les aventures de ce nouveau personnage c'est ici: http://archipels.eu/index.php)
Qu’est-ce que la Mort ? Rien. Un passage. Un renouveau. Tout dépend de ce que l’on croit, et moi, je ne croyais en rien. La mort, c’était seulement le fait de ne plus être en vie. De ne plus respirer, de ne plus sentir ses muscles endoloris, la faim, la soif. De ne plus être attentif aux sentiments, colère, peur, amour. Subtil mélange qu’avant, dans l’autre monde, les scientifiques essayaient d’expliquer par quelques jolies images d’ouvertures de mystérieux synapses et autres dessins dont je n’ai jamais saisi le sens exact. Ce qui importait alors, ce n’était pas de savoir, mais essayer de tenir, un jour de plus, marcher un pas plus loin, vivre quelques minutes de plus. Oui, depuis que les démons avaient envahi la Terre des fils de Dana, je me moquais bien de vivre ou mourir, je n’étais qu’un mort-vivant, un être qui grappillait avec un reste d’un tout petit peu d’espoir de précieuses minutes dans ce labyrinthe de ténèbres. Mange, prie, aime. J’avais trouvé ce graffiti sur les murs d'un grand bâtiment, peut-être un ancien Kaer ou un tumulus, je ne m'en souviens plus. Ce qui importait, surtout, c'est qu'en dehors de la prière, ma vie d’avant ressemblait à ça. Manger, tout ce qu’on trouvait, insectes, rats, et même des hommes. Je n’ai pas honte de le dire, dans la lutte contre les démons, garder ses forces était nécessaire, et les plus faibles étaient récupérés une fois trépassé pour garder la communauté en vie. Aimer, avec passion, car qui savait si le lendemain nos amis ou nos amantes n’allaient pas disparaître sous les griffes des démons ? A moins que ce ne fusse moi ? Tout était possible dans cette lutte pour la survie, et seul le sens de la communauté pouvait faire garder un peu d’espoir. Un tout petit peu.
Mes années sur Terre n’ont rien d’enviable, ni même d’héroïques. C’était seulement la lutte d’un homme contre le milieu le plus hostile qu’il soit. Je n’étais ni un grand guerrier, ni un magicien, j’étais seulement moi. Un survivant. Pour cela, j’ai été lâche, pleutre et couard. J’ai pleuré, beaucoup, des larmes sur la croûte de crasse qui a toujours recouvert mon corps, d’autant que je m’en souvienne. Je me suis battu, avec haine, pour un quignon de pain pour qui n’étaient pas mes amis. J’ai couru, j’ai tué, j’ai aimé. Car j’étais un homme. Et finalement, je suis mort, c’était un Destin tout tracé. On naît, on vit, on meurt. Entre les deux extrêmes…Tout est question de point de vue. Mais moi je n’ai pas envie de me sentir au-dessus du lot, je ne suis que moi. J’ai été. J’ai vécu. Je suis décédé.
Ma mort ? Je ne m’en souviens pas. Ou très peu. Une course, haletante, dans les ténèbres. La lande était froide, mes braies détrempées par l’humidité nocturne des grandes fougères, j’avais faim, j’avais froid, et j’étais surtout terrifié comme jamais auparavant. La peur qui me faisait suer, une de ces sueurs froides et glaciales qui donne la chair de poule, tandis que mes poumons expulsaient un air chaud et vicié à toute vitesse. L’odeur, âcre, des conduits de la Terre, et puis celle, ozone, des démons. Ils rigolaient dans les crevasses et autres gorges profondes, au-dessus de nous, de leurs gros rires insectoïde. Claquement de mandibules, grognements gutturaux. Ils avaient débusqué ma tribu, et maintenant, ce n’était plus qu’une chasse sanglante. Des hurlements, de temps en temps. Quelqu’un se battait, défiait ces êtres immondes, et mourrait dans un cri. Ainsi allait la vie. Et puis la chasse reprenait. On n’avait même pas le temps de savoir qui s’était fait prendre, car ce qui importait, c’était ne pas être le dernier. Courir, toujours courir, loin, le plus vite possible. Ne pas tomber, et se blesser, dans la fange bourbeuse et traîtresse des tréfonds des collines sans noms, là où mille vestiges de l’ancien monde se transformaient en obstacles qui pouvaient briser même les plus habiles. J’étais de ceux-là, dans les courses éperdues, mais ce jour-là, la chance, Dieu ou Diable, qu’importe, n’étaient pas avec moi. Je glissai. Et je sus immédiatement, tandis que la douleur me prenait dans la jambe, que c’était fini pour moi. Les bruits des démons se rapprochaient, leur odeur, fourrure, ozone et putrescence, se rapprochait. Cela en était fini, et je ne pus, comme mes frères, que pousser un dernier cri, de rage, de défi, qu’importait. Arme artisanale au poing, je savais que j’étais déjà mort, et que tout cela était vain. Mais j’étais encore en vie. Au premier coup de griffe, c’était mes tripes qui se répandaient dans une mare visqueuse à mes pieds. Au deuxième, la douleur de la perte d’un bras. A la troisième reprise de ce match inégal…Je tombais dans un noir coma, pour mon plus grand bonheur, ou mon malheur. Car, en me demandant alors ce qu’était la mort, et envisageant peut-être l’existence d’un paradis meilleur, je ne me doutais pas de ce qui allait arriver, maintenant. Qu’est-ce que la Mort en fait ? Rien. Un passage. Un renouveau.
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