mardi 22 avril 2014

Père Tzali'tch, raconte nous une histoiiiiiireeeee

Tzali’tch ne rigolait guère engoncé dans ce fourreau qui le serrait bien plus que les voiles que portaient les catins de Faestalia. Son maître avait garni son ceinturon de cuir qui grattait la lame de l’épée, frottant à longueur de temps celui, ou celle, comme tout démon il n’était pas sexué, qui y était enfermé à longueur de journée. Pour tout dire, noble lecteur, le démon des Glaces aurait eu presque l’impression d’étouffer dans ces relents putrides de tanneries et commençait presque de devenir claustrophobe, voire de souffrir d’exéma là où il imaginait déjà la rouille s’accrocher à son métal poli.

En effet, depuis que Nayris l’avait enfermé en punition dans GlaceSang, le pauvre Tzali’tch se morfondait et commençait même à dépérir à cause de son lugubre compagnon. Certes, il pouvait comprendre que boire l’âme de sa douce n’était pas une bonne idée, mais de là à en faire tout un plat et de refuser même de dégainer son braquemart…C’était incompréhensible pour le démon. Ce dernier avait pourtant tout essayé, ronronner, pleurer ou encore incendier son porteur, rien n’y faisait, celui-ci faisait la sourde oreille et se contentait de lui dire de la fermer, en elfe, en commun ou dans des langues beaucoup plus outrancières.

Pourtant, le démon rêvait de servir son nouveau maître. Bon…Il avait essayé de le tuer pour rigoler un peu, les Limbes n’étant pas source de joie et de bonne humeur une fois le premier millénaire passé, mais il était fidèle à sa parole, et plus vite il emmènerait son maître dans une quête perdue d’avance, plus vite il serait libéré. Enfin…C’est du moins ce qu’il escomptait, parce qu’une bonne épée en acier magique, ces abrutis de mortels n’avaient généralement qu’une idée, s’en emparer. Enfin…peut-être qu’il trouverait un meilleur maître que ce Tristelune.
Il en était là de ses pensées quand il entendit quelque chose frémir dans l’air glacé de l’hiver. Quelque chose scrutait le cavalier qui marchait seul dans cette forêt lugubre quelque part en Terre. Les pas étouffés de sa robuste monture de percheron s’entendaient à peine, étouffés par l’épaisse couche de neige qui recouvrait d’un blanc manteau les étendues sauvages.

Avantage de partager en partie l’âme de son porteur, c’était que Tzali’tch pouvait tout voir par ses yeux, même s’il doutait que ce dernier s’en rende compte. Et effectivement, les sens aiguisés du démon, renforcé par la qualité de Lucifuge de son maître, détectèrent la menace. Des brigands habilement camouflés attendaient dans une congère, trois arcs déjà bandés pour trouer la maigre carcasse de Corwynn. Le démon pouvait le tuer dès maintenant, ne rien dire…Mais quelque chose brûla son âme, décidément, cette damnée patronne de Nayris n’était pas allé de main morte dans ses sortilèges. Et malgré son envie pressante, Tzali’tch hurla presque au dernier moment un attention sonore qui fit rater un des tireurs. Malgré que le cavalier fusse dans ses pensées, sa réactions fut rapide, il avait bondit de sa monture qui encaissa un des deux autres traits, fendant le troisième en dégainant sa lame démoniaque qui avait épousé instantanément sa main dans un hululement sauvage. Trois bonds de chats, et il tranchait en deux le premier tireur dont la trachée ouverte répandit un sang écarlate à gros bouillon sur le manteau blanc. Son coup continua et fracassa une épée de mauvais bronze, avant de continuer sa course en mordant une épaule. Quatre coups d’épées en plus, et les bandits hurlaient à la mort, sentant leurs âmes meurtries aspirées à grandes goulées polaires par Tzali’tch le démon des Glaces. 

Corwynn avait décidé de camper à quelques mètres du combat car la nuit tombait. Il avait pris aux brigands ce qu’ils avaient, c’est-à-dire pas grand-chose, et s’échinait à faire cuire sur un feu de bois mouillé un morceau de venaison déjà bien faisandée. Il avait déposé en face de lui son épée, et il aurait pu jurer, si ce n’était la fumée âcre qui piquait ses yeux de chats, que le rubis de GlaceSang le contemplait. Il savait que le démon était là, et qu’il l’avait sauvé. Pourtant, il ne pouvait que le haïr pour avoir emporté sa bien-aimée dans un repos duquel nul ne la sauverait jamais. Cruel dilemme d’une âme tourmenté, se focaliser sur un passé mort, ou essayer de réapprendre à vivre. Il regardait cette lame, posée contre une souche, et puis, soudain, comme mû par un réflexe d’automate, il la saisit et dégaina. Un feulement câlin sortit de la lame.

« Que me vouleeeeez-vouuuuus maîtreeeeee » la voix se faisait languide, profonde, aussi chaude et veloutée qu’une voix de femme dans la moiteur torride des saunas de Cardrak. 

« Ne joue pas à tes petits jeux habituels démon»

« Chef oui chef » plus martiale, plus masculine, le démon enfumait la lame à double tranchant dans une brume qui laissait apparaître des visages aux formes multiples, moitié-femmes, moitié-hommes.

Plongé dans ses pensées, Corwynn regardait ses formes se dessiner, une prenait le pas, une femme, visage presque triangulaire, pommettes hautes, un front altier tout comme un nez droit retroussé ce qu’il fallait. Etait-ce le vrai visage de Tzali’tch ? En le combattant, il l’avait vu dans une armure presque gracile, et de longs cheveux couleurs bleu givre cascadaient d’un casque de bronze pur. Une femelle ?

« Je sens que tu veux me dire quelque chose non ? » une voix aiguë, à peine sortie de l’adolescence.

« Je… » Corwynn se retrouvait à glisser sur un terrain dangereux, était-il donc transparent pour sa propre arme ? « Je voulais te remercier démon…Pour tout à l’heure »

« Mais ce n’est rien maîîîîtreeeeee » une pointe de cynisme dans une voix de vieille sorcière « N’aurais-tu pas fait la même chose pour moi ? »

« Pour toi ? »

« Que crois-tu Corwynn Ap Dhaeol ? Je suis peut-être enfermée dans une épée mais cela ne veut pas dire que je ne ressens rien. Avant…Ce n’était qu’un jeu. Et maintenant…Je me rends compte que j’ai besoin de toi, comme toi tu as besoin de me tenir en main pour te battre. Ta pogne est parfaitement ajustée sur ma poignée…Cela me rappelle ma jeunesse, quand je parcourais le Néant Primordial avec Nayris. Une bonne époque »

La voix du démon se faisait plus lointaine, presque nostalgique. Il reprit.

« En fait…Si toi aussi tu es désolé, je pense que je devrais dire la même chose. Pour ta femme. C’était… »

« Un jeu de démon ? » c’était à Corwynn d’être maintenant cynique.

« On peut-dire ça. Mais je n’ai fait que la capturer. Tu sais. Vous, ceux qui devaient passer dans l’au-delà, votre vie est belle parce que mortelle. Alors que la nôtre n’est qu’un ennui. »

« Oui…Et donc vous vous jouez de nous ? »

« Non…Aeris n’était qu’une âme en peine. Elle était déjà passée de l’autre côté. Pour mieux t’appâter, je me suis servi de sa forme, mais elle n’était déjà plus. »

« Etait-elle… » Un sanglot faillit briser la voix du guerrier qui avait répandu le sang comme un dieux vengeur quelques heures auparavant.

« Heureuse ? Non. Personne n’est heureux dans les Limbes. Mais tu sais qui est le fautif non ? »

« Nayris ? »

« En partie…Mais celui qui a voulu enfermer vos âmes là où elles sont petit elfe, c’est Yehadiel. Celui qui t’as trahit tout comme il a trahi sa maîtresse. »

Le temps suspendait son vol dans cette discussion qui devenait maintenant métaphysique. 

« Je le hais »

« Et je suis celle qui peut t’amener à se venger de ses suppôts gamins. » cela faisait deux fois qu’elle utilisait le féminin, confirmant les doutes de son maître légitimé par la Déesse de la Vie et de la Mort. Elle reprit « Tu sais…Moi aussi je ne l’aime pas. »

« Pourquoi ? »

« Connais-tu la ballade de Foam rapsode ? »

« Bien entendu… »

« Oui bien entendu la version lumineuse. Mais tu ne sais pas ce qui s’est vraiment passé »

Corwynn le Lucifuge devenait le baladin, et dans la froideur de l’hiver, tandis que cette discussion irréelle se poursuivait, il se laissait charmer.

« Conte moi Tzali’tch » 

Le démon sourit intérieurement, c’était la première fois qu’il arrivait à intéresser son maître. Alors, de sa voix la plus douce, il se mit à chanter. Il narra la trahison de Nayris, la création des Démons. Il raconta les bannières, étoffes de soies noires pour la déesse des Morts contre le blanc pur de Yehadiel. Ses paroles s’envolèrent dans le chant des guerriers, les cors de guerres qui faisaient vrombir un air rendu instable par la débauche des vents de magies qui écorchaient dans des tempêtes ravageuses les âmes autant que les corps. A chacune de ses paroles on entendait le fracas des chevauchées, les coups sourds des épées qui se fendaient en deux lorsqu’elles s’écrasaient sur les armures des champions, les hurlements de rages des héros qui se battaient à la hache, la Morgenstern ou avec leurs ongles et leurs dents. Le bain de sang qui noyait la pleine dans une boue rougeâtre, faisant patiner des chevaux sans maîtres qui hennissaient de terreurs. Les grognements des loups de guerres se heurtant aux chiens de combats étaient aussi audibles dans le conte terrible de la bataille qui ravagea Foam, près de huit mille années auparavant. L’épée-démon se faisait danseuse, elle hurlait des obscénités que s’échangeaient les braves dans leurs défis, tout en retraçant dans les volutes de fumée les épiques duels des magiciens et des guerriers. Oui, elle contait la dernière bataille, celle-là même où elle avait perdu tant de frères et de sœurs, des amis et des amants. Oui…Son chant était aussi nostalgique que les plus grandes ballades de Corwynn, tandis qu’elle se rappelait les affres de la défaite. Telle était la vie de Tzali’tch, ou du moins ce qu’elle voulait bien raconter à son public envoûté.

Pieux mensonge, peut-être, mais l’histoire avait passionné le jeune elfe, qui en oubliait, pour quelques temps, son amertume. Quand elle eut fini, on aurait dit qu’elle était haletante, au bout de son souffle divin. Alors, Corwynn regarda la brassée de bois enfumée, et derrière la lame que Nayris lui avait offerte, et qui par son chant s’était offerte à lui. Pour la première, il voyait en elle une arme, mais aussi une compagne…Quelqu’un avec qui il avait des choses à partager. Certes la colère le prenait encore, mais il était le maître, et elle l’esclave…Du moins c’est ce qu’il semblait. Un pacte avait été signé entre eux, et c’était à lui d’en profiter. Alors, tendrement, il passa sa main au-dessus des flammes. Saisissant GlaceSang, il la dégaina et la regarda à la Lumière de la Lune gibbeuse. En son for intérieur, Tzali’tch gloussa. Elle avait enfin gagné l’estime de son maître…Et la force de son bras.

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