samedi 5 octobre 2013

Tour de manège...(Asdel et la recherche 01)

C'était un petit coin de paradis, perdu au milieu de la grande ville. Pour y aller, il fallait traverser tout Paris, d'Est en Ouest, ou peu s'en faut.

Prendre un métro, puis un suivant. Voyage fascinant au milieu de toutes les couches sociales, melting-pot de sensations, tandis que la rame gronde à travers les tunnels aussi noir que le fond de l'enfer.

C'est un petit monde en réduction, des gens qui se croisent, s'entrelacent, se mêlent dans une danse langoureuse, à chaque arrêt, changement imprévu, départ, arrivée. Quelques bousculades. Des sourires contrits, des excuses à demi-mot, à demi-voix. Un geste esquissé, puis plus rien. On ne se voit plus, on se regarde pas.

Pourtant tous ces visages sont fascinants, celui du travailleur, fatigué, les yeux pochés de s'être levé avant l'aube.

Plus tard, le cadre, moyen ou supérieur, cravate et chemise plissé par une journée harassante, le regard vide, anxieux, tandis que ses doigts jouent à toute vitesse une invisible partition. A-t-il perdu des millions en bourse ? Pense-t-il à sa maîtresse, cette petite jeune fille aux jambes gainées de soie noire, souriante et pimpante comme la vie, qui lui fait oublier l’acariâtre matrone qui réchauffe pourtant son lit et son dîner tous les soirs ?

Laissons le à ses pensées, et regardons plutôt ce couple hiératique, monsieur, quatre-vingt ou cent ans, on ne compte plus à cet âge là. Visage ridé comme une pomme blette, cheveux blancs peignés avec soin, et pourtant toujours des yeux pétillant de vie.

Madame, elle, regarde son visage en souriant, arrangeant une mèche imaginaire de sa permanente parfaitement réalisée à l'aide des fers à friser par sa coiffeuse qu'elle a connu lorsqu'elle était apprentie.

Devant eux, leur petite fille, une gamine encore ronde, la petite dernière de la famille, qui aimerait bien coller sa bouche contre la vitre, comme le petit garçon deux arrêts avant, pour goûter ce verre froid où l'on peut dessiner des bulles.

Son grand frère, ou son cousin, plus grand, lui, se tient bien droit, déjà désabusé par le monde, sa petite amie, ***, sept ans, lui a été soufflée par son meilleur ami. La barbe de devoir passer son après-midi avec ses grands parents alors qu'il y avait foot sur le terrain vague, ça aurait pu finir en bonne baston et la force de ses gnons aurait ravivé sa jeune flamme...

Instants de vie, instant de mort. Pauvre SDF que plus personne ne voit, emmitouflé dans SA station comme une momie par des dizaines de couvertures. Il a froid, déjà ses forces vitales le fuit, lui qui avait connu le bonheur d'un foyer, la joie du travail bien fait...Des choses auxquelles tout le monde aspire et devrait avoir le droit. Liberté Égalité Fraternité c'est ça ?

Pas de commisération dans ce monde injuste et sale, seulement une petite pièce, de temps en temps, histoire de se donner bonne conscience.

Moi même je ne suis pas exempt de ses pensées. Terribles. Serais-je capitaliste ? Ou pire ? Je préfère fuir, loin au-dessus de la mêlée, quitter la foule crasse de ce métro sur-bondé. Fuir, traverser ces pâtés de maison bien bourgeois. Pourtant, je croyais que Boulogne résonnait encore du fracas de Billancourt. Ce n'est qu'une succession de rue informe, ou plutôt, qui ont toutes la même forme, archétype de l'ancien quartier réhabilité par les cadres. Rues proprettes, murs de briques recouverts de fleurs. Les filles dans la rue marche vite, juchées sur des talons plus fins que des aiguilles, leurs robes légères appellent le printemps, alors que nous sommes déjà à l'automne, à moins que ce ne soit mon cœur et mon esprit qui se sont arrêtés, un de ces jours d'octobre où la pluie collait les feuilles des platanes de mon enfance dans la grande allée...

Fuir, toujours, avancer, à jamais. En avant, et tant pis pour le reste. Derrière les croisillons, des femmes espionnent leurs voisines, un piano, fenêtre ouverte, égrène des notes sporadiques. Jeux de dupes en ré mineur. Suite de maisons identiques, aveugles sans être lépreuses, nous ne sommes pas à Barbès que diable. Mais la maladie qui étreint les os, le sang et les chairs, peut-être qu'elle existe DANS ses petits pavillons ? Bien entendu, il vaut mieux cacher les débris hématiques de cette insidieuse tuberculose nommée jalousie par certains. Et puis merde, la lutte des classes est mort en 89.

Fuir, toujours, avancer, à jamais. Chercher quelque part pour se reposer, citadelle imprenable, ou du moins mieux fortifiée que le cœur et l'esprit. Je l'ai trouvé, au détour d'une rue, d'une place. C'est un petit temple blanchi à la chaux, à défaut d'être en marbre, trop vulgaire somme toute depuis que le Parthénon existe.


Je pousse la porte, un gardien m'introduit, au milieu d'une galerie ou des tableaux premier empire (c'est important, mon meilleur ami déteste ceci, lui l'historien de l'art à la culture plus profonde que la Fosse des Mariannes). Un escalier, velours sur lambris de bois satiné, ou patiné, par des années de passage et de travail à la cire. Nouveaux couloirs, nouvelles portes. Un grand linteau noir, au-dessus, serait-ce les armes de l'Empereur ? Pousse la porte, acte de foi. Pousser la porte, rentrer dans une petite pièce à l'éclairage diffus, calme et paisible. Pousser la porte, craintif, comme on entre dans le Saint des Saints. Au mur, des bibliothèques pleines d'ouvrages, anciens ou non. Un seul cri de ralliement « Vive l'Empereur ! », tous ces papiers porte Sa marque. On s'attendrait presque à sentir l'encens d'un culte païen de la grandeur de la Nation incarnée. Cela est remplacé par la délicieuse odeur de ces pages jaunies par le temps, tandis que la main effleure avec précaution, comme on toucherait les pieds d'une statue, les reliures de cuir ou de carton....  

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