vendredi 27 septembre 2013

Vive le Consul, partie un, le camp de ***

C'était un de ces jours de pluie où la Côte d'Azur se transformait en une cotte aux reflets d'aciers, la houle puissante de la Méditerranée jouant de mille teintes de verts et de gris plus ou moins ternes, comme ces armures antiques que Mr de *** venait de trouver enterrée aux alentours de Pompéi.

La pluie fine rendait glissant les chemins de pierres, tandis que les sentes se transformaient en bourbiers pour ceux qui n'y prenaient pas garde. Les hommes et les bêtes, eux, étaient plus trempés que des nourrissons le jour de leur baptême.

La route était don logiquement vide de toute vie, si ce n'était de temps à autre un berger qui marchait là haut dans le maquis, entraperçu quand la brume se levait quelques instants. Pourtant, un austère cavalier, engoncé dans une cape de grosse laine grise taillée à la Souvorov, Il avançait au pas lent et mesuré de sa monture, un alezan superbe dont le poitrail se soulevait à chaque instant, luisant de sueur, tandis que ses yeux cherchaient la moindre parcelle de terrain qui ne serait pas traître sous son sabot.

Le couple s'approchait de la ville de ***. L'homme semblait perdu dans ses pensées, un tricorne détrempé posé sur les yeux, quand un barrage lui coupa la route. En fait de barrière, c'était un simple tronc fin long et robuste tenu entre deux autres morceaux de bois à peine élagué. La guérite quant à elle était une tente où se tenait trois soldats, un caporal et deux biffins, se tenaient au chaud autour d'un mauvais feu qui sentait la résine de pin et le bois vert, en aiguisant adroitement de longues avionnettes, appelées cuillères dans le langage fleuri des hommes de guerre. Sur le sol, de la paille tout aussi humide, dans lesquels les hommes plongeaient des sabots ou leurs pieds nus. Le cavalier aurait pu remarquer, s'il y avait pris attention, la mine déconfite de ces hommes habillés comme des va-nu-pieds de pantalon de serge étriqués ou trop longs, retenus par des bouts de ficelles en guise de ceinture, le tout reposant dans une crasse sombre de corps de garde, où le feu permettait au moins de masquer les odeurs de corps et de graisse.

Le caporal jeta un rapide coup d’œil aux papiers du cavalier, il ne savait qu'à peine lire le cachet et l'ordre émanant du ministère, plus attiré par la mise qu'il cachait en dessous, bonne redingote de drap vert, sabre d'officier et deux pistolets d'arçons qui devaient être fabriqués sur mesures vu la finesse de leurs crosses travaillées à l'acide. Un nouvel officier dans cette armée qui manquait de tout ? Un dragon pour rejoindre quel corps, leurs cavalerie avait été défaite par les Autrichiens non ? Avec sa mise de bourgeois, il aurait mieux fait de rester à l'armée du Rhin, pensait l'homme de garde, en se disant qu'il enviait aussi l'homme. Il allait lui poser quelques questions, mais à quoi bon, il n'aurait pas répondu. De toute manière, c'était un gars de plus qui allait souffrir comme eux de la faim, du froid ou de la maladie. Et puis, ses yeux bleus glaces, sa mise mais aussi son nez busqué, aristocratique tout comme son front haut, n'invitaient guère à la conversation. Surtout si l'on ajoutait la blessure qu'il portait à l'occiput, du moins c'est ce que le caporal en avait déduit en voyant les morceaux de bandages qui pendouillaient sous le tricorne.

Finalement, le vieux moustachu s'inclina face au regard terne, ou torve, du jeune officier et grogna quelque chose. Ses deux aides soulevèrent la barrière, et le jeune cavalier piqua des deux.


Haussant les épaules, le caporal s’emmitoufla dans sa capeline d'été qui tombait en lambeaux, ils avaient encore plusieurs heures de garde solitaire sur cette route...

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