Je connais parfaitement cette sensation le matin, les paupières sont lourdes, on est fatigué de la nuit passée, mais il faut se réveiller. On fait un effort de concentration extrême, puis on ouvre lentement une paupière, puis l’autre, à moitié.
J’ai mal au cou, torticolis nocturne du à ce fauteuil en cuir sombre dans lequel je suis lové. Dans la semi pénombre, mon regard remonte lentement le sol, jonché de papiers inutiles et autres prospectus. Je ne peux pas lire les titres, mais je m’en moque parfaitement, je n’en ai rien à faire je crois.
Oui, cela doit être cela, je n’en ai rien à faire ou plutôt, je ne saurais pas quoi en faire. Ce qui m’intéresse plus en ce moment, que dis-je, ce qui attire mon regard irrésistiblement, c’est la petite table basse, noire ébène, où se trouve un échiquier et deux coupes d’un liquide qu’on pourrait prendre pour du champagne.
J’ai soif, mais ma vision continue, irrésistible. Mon regard, complètement ouvert maintenant, passe de la table ébène à une ottomane rouge sang, seule couleur dans ce décor chromatique.
Jouant avec un pompon, un pied blanc, pur et virginal se dessine. Je remonte la longue jambe fuselé avec mes yeux avides, le mollet, le genou puis la naissance de ses cuisses.
Ses deux cuisses blanches, repliées selon un angle de quatre-vingt dix degrés, sont protégées par un kimono noir, qui laisse cependant à mon regard rêveur la connaissance des secrets de cette femme.
Mon regard remonte encore, il passe sur le dos, où le kimono diaphane est stylisé par un dragon blanc à l’œil rouge.
Elle me tourne le dos, à moitié, pourtant j’ai l’impression de tout connaître d’elle, je sens son parfum, fleur de prunier blanc, qui m’envoûte de l’autre côté de la pièce. Le haut du kimono laisse une épaule dénudée, et la naissance du cou, sensuelle, entouré par une longue cascade de cheveux noirs.
Je vois son visage de trois quart. Elle porte à ses lèvres parfaites un long fume cigarette noir. Elle l’allume avec un zippo argent, et tire une longue bouffée. Le papier blanc se consume peu à peu, environnant à chaque expiration son visage d’une fumée grise, odeur enivrante.
Elle regarde quelque chose en bas, par la fenêtre où les rideaux, voiles diaphanes, jouent avec le vent frais. Pourtant, je n’entends rien.
Elle tire une dernière bouffée, retire le papier consumé du long fume cigarette noir et le jette dans la rue sans bruit, en bas.
Elle se tourne vers moi. Je ne vois plus rien de son visage, si ce n’est ses yeux, noirs, profonds. Je la regarde, qui-est-elle ? Je ne sais pas. Mais je me perds, oui je me perds dans ses yeux noirs, deux puits sans fonds, je tombe, je tombe, enfer vivant, paradis de la sensualité…Tout se brouille, mes paupières sont lourdes, très lourdes…
Je me réveille
Qui suis-je ? Je pourrais répondre à cette question en vous offrant le nom que mes parents m’ont donné à ma naissance. Jérôme ****. Oui, cela est mon héritage, vaste débat de savoir pourquoi je m’appelle comme cela et pas autrement.
Pas autrement, oui, c’est vrai. Je me suis moi-même donné un nom en fait, plus tard, à l’adolescence. Un nom de guerre, nom de code qui me sert pour jouer sur la vaste toile mondiale. Mais aussi nom de mes personnages, de mes rôles que j’aime.
Oui, j’aurai pu m’appeler Asdel, mais là question de qui je suis n’est toujours pas résolue.
En effet, que je sois Jérôme, ou le pseudonyme d’Asdel, je suis plus que ces simples noms. Qui suis-je alors ? Un garçon, bientôt un homme ? Cela est un bon début. Un garçon qui atteint le quart de sa vie, plus tout à fait un enfant, pas encore un homme mûr.
Plus que cela, je suis un rêveur, mais aussi un étudiant. J’aime la solitude, mais j’aime aussi plaisanter avec mes amis, boire avec eux.
J’aime écrire et lire. Je crois que cela est la base de mon âme. La lecture. Depuis l’enfance je lis tout ce qui me passe par la main, Pardaillan, Les trois Mousquetaires, Sigognac étaient mes héros. Tout comme Achille, Alexandre, César, Vercingétorix. Et après je m’amuse à jouer ce que je lis. Je me prenais pour un centurion, un chevalier ou mousquetaire. Je me battais pour la veuve et l’orphelin, pour des causes justes, toujours. Je tuais les monstres et les guerriers barbares, tout de même, sans aucunes discriminations. J’étais un héros, moi le petit enfant chétif qui aimait lire des aventures…
Les jeux d’enfance sont morts très vite. A l’école, personne n’aimait s’amuser à cela, à s’inventer un nouveau monde. Peut être me suis-je laissé entrainé dans le moule ? Rapidement on se retrouve en effet à médire des uns et des autres, des profs ou encore des joueurs de foots.
Alors, pour se rappeler son enfance, on lit. Mais quelque chose s’est brisé en moi. A dix ans, je n’aimais déjà plus les livres pour enfants. Il me fallait autre chose, quelque chose de neuf.
L’anniversaire d’un ami plus âgé m’a surement décillé les yeux. Un simple jeu, jeu de rôle. Facile, à cette époque c’était une simple traversée de donjons, pour sauver le monde (rire intérieur).
Parallèlement à ces jeux, qui d’ailleurs me manque toujours, mais auxquels j’ai finalement eu peu l’occasion de jouer, je me suis mis à lire de nouvelles séries. De la fantasy tout d’abord, puis de la science fiction, bien que je n’aime pas foncièrement cette dernière.
Quelque chose me manquait, les séries faciles comme les Chevaliers d'Émeraudes, les Bottero ou même le maître Tolkien m’ennuyaient. Peut être était-ce la solitude. Je n’arrivais plus à retrouver les grands héros de mon enfance. Mais un jour, le Graal s’est présenté à moi.
Je devais avoir quatorze ans peut être. Je suis allé à la bibliothèque, et là trois ouvrages se sont offert à mes yeux d'enfant perdu...
Tout d’abord, c’était Waylander, de Gemmell. Je connaissais cet auteur, j’aimais son style, mais Druss était comme les héros de mon enfance, trop parfait dans un monde de sang et de mort. Waylander, au contraire, était froid et cynique, il était de fait ce que je cherchais. Un assassin, sombre, qui mettait sa lame à louer. Dans le même style, je rencontrais aussi Drizzt, l’elfe noir banni de sa cité, perdu dans le vaste monde.
Drizzt aurait pu être le second ouvrage, mais je crois que c’est plutôt la série du Capitaine Alatriste que mon esprit a retenu. Série historique, certes, mais j’aime l’histoire et les histoires. Alatriste est donc un capitaine sans le titre, il est un spadassin, tueur à gages dans cette Espagne où le soleil ne se couchait jamais. Il se bat, pour lui, son fils adoptif et surtout son honneur, contre l’Eglise, les puissants et les Hérétiques des Flandres…
Enfin, le dernier anti-héros, le maître parmi les trois, mon préféré : j’ai nommé Lestat le Vampire. Bête immonde qui dans sa première apparition n’aime que la mort et la chasse, oui, il aime chasser les mortels, les traquer, se fondre dans leur humanité. Il se donne un code d’honneur, il ne tue que les méchants, mais il est la Bête, l’antéchrist, le chasseur parfait qui parcourt depuis des siècles le monde, il est ce qu’il chasse, il est un homme tout en étant plus que cela... Personnage complexe, français aimerais-je dire, il deviendra dans la suite des ouvrages un saint, connaisseur du diable, à qui il arrachera le voile de Saint Véronique.
Trois personnages, trois styles différents. Et pourtant, je crois que ce sont eux mes véritables héros, ce qui m’ont formé, moi le pâle étudiant mince et bigleux. J’aime leur noirceur, toujours teinté d’une bonté pour leurs amis. Ils se battent pour eux, certes, mais derrière de nobles causes apparaissent ou transparaissent. Ils sont mes modèles, des hommes d’actions qui j’aimerais tant connaître, ils sont ce que je ne suis pas…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire