dimanche 12 juin 2016

Nuit fauve

Encore une nuit d’insomnie. Une de celle de la sainte trinité lexo, clope et film porno. Dans les couloirs, le raffut des basses, de rires aigres et des claquements des talons hauts sur le lino. La jeunesse France qui croit s’amuser dans son insouciance. Connards. Toi, dans ton lit, la douleur dans ton dos, ton cœur, ton cerveau. Roulé en boule dans une couverture miteuse, tu n’as même pas envie de sortir. Pour boire un verre avec ces gens que tu méprises. Pour gueuler un bon coup sur leur gueule de cons petits bourgeois. Casser une figure d’un coup de poing qui fera cracher du sang et des dents.
Prouver ton existence.

Tu fuis, dans les films mièvres et les mauvais rêves. Temps mort. Gâché. A ne rien faire. Sauf à te dégoûter de toutes ces conneries auxquelles tu voudrais croire, amitié, amour, vie désintéressée. Dans ta gorge, une odeur de vomi, tes membres paralysés, tu cèdes à un demi-coma migraineux. Parce qu’à force, tu la connais trop cette éternelle rengaine.

Des pressions. Encore une bouteille de Kro, à peine fraiche, pour te rincer la gorge. Ça te débecte encore plus. Car ce soir, tu te méprises tellement que tu n’as même pas envie de jouer le jeu. Tu es fatigué. Tu abandonnes. Tu te lèves. Second round fuyant pour lâche introverti. Tu enfiles un futal trop large aux hanches, trop court aux chevilles, ceinture qui te sert le ventre. Trop de bière et de gras. Une chemise froissée. Et une veste, pas parce qu’il fait froid, mais parce que dedans tu caches un paquet fripé de goldos achetés en sous-main à Barbès, pour ce genre de soirée où le seul remède de ton mal c’est te défoncer encore plus le crâne. Pour oublier ce que tu ne te résous pas à exposer.
Automate, clic-clac, la porte claque. Tu es dehors. Tu inspires, l’air frais, comme une dernière bouffée. Clic-craque. Gaz et zippo. Tu aspires la lumière, première taffe, bouée de noyé. Tu te sens vivre, comme un camé, mais tu te sens en vie. Malgré la douleur, ou à cause d’elle. Tam-tam lancinant de la migraine crève manque de sommeil que tu te traines comme un boulet depuis des jours qui font des semaines.

Dehors, les rues de Paris. Allumées de rêves-erbères. Chats noirs qui glissent solitaire, comme toi. A la recherche d’un toit, d’un endroit pour se cacher, ou juste boire un dernier verre, avant la fin de leur monde. L’éternelle recherche du Temps Perdu. A attendre de provoquer un truc dément, un truc bandant, un truc qui remisera tous les films de cul à un joyeux souvenir de temps anciens. Le truc. Qui remisera les va et vient de taulard, dans les rues de Paris pute sacrée, au fin fond d’une cage en rouge et noir.

Il flottille. C’est triste et con, t’as oublié ton parapluie. Mais là, tu t’en fous, à cette heure. Remontes le col de ta veste, et laisses l’eau dégueulasse de pollution baptiser ton crâne de vrai-faux parisien.
Tu marches, au hasard, aveugle, à fuir tes Noirs. Ton ennui. Ta vie. Résumée à cette cigarette qui se consume lentement, à peine incandescente, qui ne laisse pour toute trace de son existence qu’un nuage évanescent de fumée. Délétères pensées.

Tu marches, désolé, dératé, à enfiler les rues que tu rencontres comme ces filles dans les bars. Une grande avenue. Peu importe son nom, elles se ressemblent toutes. Reines, impératrices, républicaines. Aux grands hommes les grands remèdes des plaques d’acier forgées inscrites dans les os-artères principales, pour une éternité adamantine.

L’avenue solitaire, fleuve sans nom qui charrie encore des files de tires à cette heure triste. Drave inconsistante de noctambules trop éméchés pour réfléchir à l’insolite de la situation. Morceaux de bois flottés, ballotés par les courants de la vie, et qui atterrissent, comme toi, dans les hasards de la grande ville sans âme.

Une place. Assis sur un banc, tu partages une clope avec un clodo philosophe en veste tweed élimé et jean troué. Il t’offre, gratis, une leçon de vie à grands relents de villageoise et coups de piquettes qui décaperait même un verre de coca. Pour ce que tu en as à foutre la vie, tu peux bien écouter. Gagner une perle de sagesse, que tu laisseras mûrir, dans ta cervelle. Encore un de ces cadeaux dont tu t’en bas et que vas gâcher, comme les autres, quelques semaines plus tard. Grigri d’amour totalement désespéré, ou désespérant.

Le vieux s’endort. Ronflement tapageurs. Tu souris. Glisse un billet de cent francs. Et décolle dans une autre rue, puis une autre. Demain, tu réfléchiras, mais pas avant. Procrastination de merde. Tu atterris devant une pharmacie de garde. Couples avec enfants malades, vieille grand-mère qui ne dort plus depuis au moins cent ans, et camés à la recherche d’un simple cacheton de doliprane pour oublier le manque. C’est drôle ces néons verts versus le rose bonbon d’un salon de massage. Le pharmacien enfermé dans son bunker et la maquerelle qui, dans son mauvais français teinté d’accent thaï, te dit que tu vas trouver l’amour. Tarifé bien sûr. C’est tentant non ? Toujours mieux que le personnage en carton-pâte, petite brune qui tend un tube homéopathique contre la grippe, qui te toise avec son air de Marie-France, Marie-Claire ou Marie-couche-toi-là. Tu seras presque prêt à céder. Presque. Parce que dans la pharmacie, tu vois un de ces personnages qui n’existe que dans les romans. Petite brune dans sa veste de pharmacienne trop grande trop large pour elle, comme ton fute. Elle sert un client noctambule. Sourire espiègle, yeux réglisse, et une joie de vivre dans chacun de ses mouvements. Comme si elle n’avait pas peur de ce qui pouvait arriver. Comme si elle n’avait pas peur de la vie. Comme si elle n’avait pas peur, de rien, parce qu’elle effrayait tous les démons par sa seule présence rassurante, dans les nuits noires de Paris.

Toi, tu souris, bêtement. Dans ton cœur, une petite boule de chaleur. Espoir. Te dire que tu peux encore croire, en quelque chose, en quelqu’un. Un tout petit rien qui te fait sentir bien. Tous tes cafards, très loin. Pour une fois.


T’as envie de pleurer. Chialer. Cracher de la morve. Puis tes viscères, tes tripes, ton âme. Reconnaître que tu n’es qu’un connard arrogant, faible, et lâche. Couiner de joie, au milieu des noctambules camés, putes et chats noirs d’un soir trop noir. Le dire, tu sais pas comment, mais t’exprimer. Comme tu l’as pas fait depuis longtemps. Parler, chanter ou versifier. Tu t’en fous de la forme, tant que tu l’inscris, quelque part. Ecrire tes maux. Ecrire des mots. Un refrain, lancinant, « un truc bandant, un truc dément qui donne la foie, qui repousse enfin l’blizzard ». Une silhouette floue derrière une vitre en vert et blanc, couleurs d’espoirs. Pureté qui défie les terreurs nocturnes. Amours naissants.

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