vendredi 14 mars 2014

Rufino 4: honneur et respect

L’homme que l’on appelait Lysinias était un ancien soldat des cités Etats d’Haellenia. Eternellement en guerre, les deux grandes Ligues s’affrontaient sur les Milles Îles depuis des siècles, pour promouvoir leurs idées sur la liberté et la bonne manière de gouverner. Des générations de guerrier avaient baigné de leurs sangs ces terres rocailleuses et désolées, entre ciel et mer, pour la gloriole de vieillards qui jouaient à la guerre, bien au chaud autour des princes ou de l’Assemblée. Une mauvaise plaisanterie courrait que les hommes d’Haellenia naissaient déjà casqués et en armes, et quand il vit Lysinias, Je ne pouvais pas en douter.

Cet homme était encore jeune, il portait une armure de cuir riveté de plaque de bronze. A sa main, un long casque corinthien du même métal qui ne portait pas sa crinière.  Il avait un visage rude, buriné par le soleil. Des rides de tensions entouraient ses yeux noirs, même si le reste de son visage était encore lisse, rasé de frais. Ses longs cheveux noirs, patiemment huilés, tombaient sur son cou en une série de tresse sensées protéger la nuque de toute attaque. Il ne souriait pas, me jaugeant plutôt sous toutes les coutures, comme je le faisais à l’instant. Attentif, il ne montrait aucun signe de tension, semblant aussi calme qu l’eau, si ce n’était le petit mouvement de ses doigts qui tapotaient dans un rythme saccadé son casque. Il avait le bras fort, et ses jambes semblaient souples, recouvertes de chlamydes argentées. Quant à son ventre, une large ceinture en cuir empêchait toute attaque visant à l’étriper.
J’allais devoir la jouer serrer, me découvrir, aller au corps à corps pour faire mouche. Au risque de prendre un mauvais coup.

Dans le silence obscur des galeries, aucun de nous ne pipait mot. Nous nous observions, comme deux fauves. Je lui rendais chacun de ses sombres œillades, et n’avais certainement pas à rougir de ma vie. Nos bras musclés étaient aussi bien pour l’un que pour l’autre zébrés de blancs, là où une vie de guerrier avait apposé sa marque par les flammes et les lames.

Lysinias brisa soudain le silence.

« C’est donc toi Rufino…Je te voyais plus grand »

Je souris, son ton ne portait aucune bravade. Il cherchait seulement à parler, comme pour tuer le temps.

« Désolé de te décevoir. Note que je pensais de même pour toi. Pour une légende de l’arène, je m’attendais à voir un ogre, ou un monstre. »

« Tu m’en vois aussi désolé que toi. » sa voix trahissait un certain humour, en d’autre lieux, en d’autres temps, nous aurions pu être amis, comme Crixus et Octavio.

« Bah. Ce n’est pas grave. »

Il haussa les épaules. L’air de dire tout et rien à la fois. Nous communiquions plus par le regard. Aucune envie de se battre, mais les plaisirs de l’empereur primaient sur nos désirs. Dehors, une grande acclamation fit vibrer le stade. Une fine poussière tombait sur nous tanids que mille pieds et mains battaient la mesure. Un homme, là, tout près, devait être en train de mourir sur le sable, répandant dans une marée rouge tout le sang de son corps pour abreuver une foule insatiable à l’esprit tourneboulé par le soleil.

Lysinias reprit enfin.

« Je t’ai longtemps admiré. Et nous voilà confrontés. Un grand combat ce soir. »

Je ne répondis pas. Pas besoin de répondre. Les yeux de loups de mon adversaire me rappelait un jeune combattant, il y a plus de dix années de cela. Un combattant qui souhaitait devenir le roi de l’arène, et avait réussi.

Il allait ajouter quelque chose, quand on descendit le mort. En fait, ils étaient deux sur une seule civière. Crixus et Octavio, unis dans leur dernier combat. Je ne vis pas leurs blessures, mais ils étaient déjà aussi pâles que des cadavres. Et bientôt, ce serait mon tour, sûrement.


Lysinias se leva à leur passage et, fait étonnant, dégaina son épée et se tint au garde à vous. Honneur et respect. Pour mon dernier combat, j’étais servi. Je hochais la tête lentement, imperceptiblement, tandis que les corps de mes plus proches amis s’enfonçaient dans les ténèbres, pour être dévorés dans l’Hadès. Dans mon esprit, je priais pour leurs âmes, leur demandant de m’attendre un peu sur la Longue Route…Non, je ne serais pas long.

Dehors, une nouvelle sonnerie de buccin retentit. Alkaios revenait. Lysinias me jeta un dernier coup d’œil, puis posa son casque sur son crâne. Dans son regard se lisait désormais la mort, pour un de nous deux. 

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