D’abord, c’est la sensation de chaud dans ses veines, le
sang qui se remet à circuler, tandis que son cœur bat, plus vite, plus fort,
injectant son corps d’une nouvelle pulsation de vie. Ses vaisseaux se purgent,
dans la douleur, de quelque chose. Masse de caillots sanglants, congelés. Il
souffre, mais il sait que s’il souffre, c’est qu’il est en vie.
Après, c’est la sensation de froid, bien entendu, il ne le
ressent pas vraiment, il ne ressent plus grand-chose depuis si longtemps. Mais
il sent, souvenir enfoui au fond de son instinct primal, son épiderme se
soulever tandis que la chair de poule le saisit, quelques secondes, le temps
que ses capacités prennent le relais et l’empêchent de trop souffrir. Mais il
sait que dehors, il fait plus que glacial, comme si le blizzard soufflait,
violent, sur une steppe enneigée.
S’il éprouve ces sensations, c’est qu’il est vivant, qu’il
est quelque part, au chaud, et qu’il existe un ailleurs, tout proche, où le
froid glacial lutte pour gagner son éternel combat.
Dehors, où est ce dehors ? Il tente un effort,
semi-conscient, pour ouvrir un œil. Ça ne marche pas. Il bouge un doigt de
pied, puis son petit doigt, avant de lever sa main. Effort de volonté, travail
des nerfs, il sent l’impulsion partir de son cerveau, brûler les étapes à une
vitesse folle, son corps répond, de plus en plus vite. Il réussit, sa main se
hisse. Pas longtemps, pas très loin, serait-il attaché ? Ou est-ce une
preuve de faiblesse. Il ne se rappelle même pas qui il est, d’où il vient, ce
qu’il fait ici. Il est limité, comme un nouveau-né, à des pulsions primitives.
Cela le fait enrager, au fond.
Soudain, comme s’il avait ouvert un bouchon de champagne, il
se met à entendre.
Quelqu’un d’autre serait devenu fou sous cet afflux soudain
de son. Pour lui, c’est une bénédiction. Des mots échangés, dans une langue
inconnue, peut-être slave ? Etrange idée qu’il a là, tandis qu’à ses cris
et ses ordres se succèdent le son strident de piston, un échappement d’air dans
un nuage de vapeur d’eau, des bruits de bottes et d’autres frémissement de
l’humanité mélangés à des bruits mécaniques.
Nouvel effort, il sent son nerf optique lutter, tout comme
ses paupières. C’est étrange, on aurait dit qu’elles étaient prises par la
glace. C’est alors que, d’un coup, d’un seul, la Lumière. Fiat Lux dit la
Bible, ce livre pour les faibles qui croient en l’amour. Mais pour une fois, ellea
raison. La lumière était, crue, mélanges de dards blancs et de nuances de
rouges selon la couleur des spots dirigés sur son visage. Il papillonne
quelques temps, histoire de ne pas s’aveugler sous les terribles flashs des
lampes au magnésium. Magnésium ? Il ne sent pas l’odeur caractéristique de
combustion de ce gaz si précieux, mais peut-être est-ce dû à cette odeur de pétrole
omniprésente pour chauffer cet espace. Du pétrole ? Etrange idée, il en
manquait tellement. Un rapport ne lui avait-il pas annoncé que ses tanks ne
pouvaient plus bloquer l’avance Russe sur Berlin à cause de la pénurie de
carburant ? Mais comment sait-il ça ? C’est flou dans son esprit,
tout est mélangé dans son crâne, des souvenirs fugaces remontent dans ses
pensées. Il est à deux doigts de se retrouver, mais pour l’heure, il vaut mieux
se concentrer sur son environnement immédiat.
Il voit déjà mieux, ses yeux regardent, plissés ce méli-mélo
d’homme en blouses blanches, de tuyaux plongés au sol dans de l’eau.
Des capteurs verts luminescent entourent notre homme, une
batterie d’électrode est branchée sur lui, cherchant ses constantes vitales. Il
ne sait pas où il est, il ne sait pas où il est. A priori, la Russie, pour le
froid. Il a remarqué que certains des hommes de sciences portaient de lourdes
chapkas au-dessus de leurs masques à gaz ou des fourrures en plus de leurs
vestes blanches.
Quelques mots d’un homme, un regard vers le haut. L’éveillé
fait de même. Au-dessus d’eux, une passerelle en acier, avec un cercle plus
sombre surmonté de vitres en plexiglas. Surement le poste de commandement. Un
mouvement dans les ombres, il perçoit avec ses yeux fatigués une forme floue.
Un homme se trouve là-haut, le chef de cette bande ?
Quelques mots de l’homme en blouse blanche. Il ne le
comprend. Mais son geste est éloquent, il lui tend une espèce de peignoir
éponge en tissu sombre. L’éveillé se rend compte qu’il est nu, ou plutôt,
recouvert de guenilles déchirées. Se drapant dans cette vêture, il suit l’autre
homme. Il a compris qu’il voulait le mener là-haut, sur la passerelle. Pour
l’heure, encore abruti par quelque chose qu’il n’arrive pas à définir, il suit,
placidement, même si quelque chose dans son être, une sorte d’instinct, lui dit
que ce n’est pas ce qui doit être. Il suit l’homme en blouse blanche.
C’est en arrivant en face du poste de commandement, en
voyant son reflet troublé dans une vitre sale, que sa mémoire lui revient d’un
coup. Il contemple ce corps, qu’il a mis tant de temps à éveiller, remettre la
vie en marche dans ses cellules, petit à
coup sûr petit à coup pour débloquer enfin ses muscles, ses nerfs, ses os et
tout ce qui fait de lui un homme. Un homme ? En est-il encore vraiment
un ? Ce miroir incomplet lui jette au visage qui il est, un homme grand et
élancé, sans peau, ou plutôt une chair rouge comme s’il avait été écorché. Et
son visage, c’est peut-être le pire, un crâne, simiesque, qui lui sourit
méchamment. Ce sourire le rassure, il lui rappelle qui il est, qui il a été et
ce qu’il deviendra. Il est un surhomme, destiné à dominer le monde, un homme
plus grand que tous les autres, parfaitement conscient de son destin. Il est
Red Skull
Ses souvenirs affluent en lui, jusqu’à son dernier.Cette chute
qui aurait dû être mortelle dans les Ténèbres et les Glaces de l’Océan
Arctique…Il se rappelle qui il est, il se rappelle d’où il vient, il se
rappelle être Johan Schmidt, alias Red Skull.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire