samedi 8 juin 2013

Réveil



D’abord, c’est la sensation de chaud dans ses veines, le sang qui se remet à circuler, tandis que son cœur bat, plus vite, plus fort, injectant son corps d’une nouvelle pulsation de vie. Ses vaisseaux se purgent, dans la douleur, de quelque chose. Masse de caillots sanglants, congelés. Il souffre, mais il sait que s’il souffre, c’est qu’il est en vie.

Après, c’est la sensation de froid, bien entendu, il ne le ressent pas vraiment, il ne ressent plus grand-chose depuis si longtemps. Mais il sent, souvenir enfoui au fond de son instinct primal, son épiderme se soulever tandis que la chair de poule le saisit, quelques secondes, le temps que ses capacités prennent le relais et l’empêchent de trop souffrir. Mais il sait que dehors, il fait plus que glacial, comme si le blizzard soufflait, violent, sur une steppe enneigée.
S’il éprouve ces sensations, c’est qu’il est vivant, qu’il est quelque part, au chaud, et qu’il existe un ailleurs, tout proche, où le froid glacial lutte pour gagner son éternel combat.

Dehors, où est ce dehors ? Il tente un effort, semi-conscient, pour ouvrir un œil. Ça ne marche pas. Il bouge un doigt de pied, puis son petit doigt, avant de lever sa main. Effort de volonté, travail des nerfs, il sent l’impulsion partir de son cerveau, brûler les étapes à une vitesse folle, son corps répond, de plus en plus vite. Il réussit, sa main se hisse. Pas longtemps, pas très loin, serait-il attaché ? Ou est-ce une preuve de faiblesse. Il ne se rappelle même pas qui il est, d’où il vient, ce qu’il fait ici. Il est limité, comme un nouveau-né, à des pulsions primitives. Cela le fait enrager, au fond.

Soudain, comme s’il avait ouvert un bouchon de champagne, il se met à entendre.
Quelqu’un d’autre serait devenu fou sous cet afflux soudain de son. Pour lui, c’est une bénédiction. Des mots échangés, dans une langue inconnue, peut-être slave ? Etrange idée qu’il a là, tandis qu’à ses cris et ses ordres se succèdent le son strident de piston, un échappement d’air dans un nuage de vapeur d’eau, des bruits de bottes et d’autres frémissement de l’humanité mélangés à des bruits mécaniques.

Nouvel effort, il sent son nerf optique lutter, tout comme ses paupières. C’est étrange, on aurait dit qu’elles étaient prises par la glace. C’est alors que, d’un coup, d’un seul, la Lumière. Fiat Lux dit la Bible, ce livre pour les faibles qui croient en l’amour. Mais pour une fois, ellea raison. La lumière était, crue, mélanges de dards blancs et de nuances de rouges selon la couleur des spots dirigés sur son visage. Il papillonne quelques temps, histoire de ne pas s’aveugler sous les terribles flashs des lampes au magnésium. Magnésium ? Il ne sent pas l’odeur caractéristique de combustion de ce gaz si précieux, mais peut-être est-ce dû à cette odeur de pétrole omniprésente pour chauffer cet espace. Du pétrole ? Etrange idée, il en manquait tellement. Un rapport ne lui avait-il pas annoncé que ses tanks ne pouvaient plus bloquer l’avance Russe sur Berlin à cause de la pénurie de carburant ? Mais comment sait-il ça ? C’est flou dans son esprit, tout est mélangé dans son crâne, des souvenirs fugaces remontent dans ses pensées. Il est à deux doigts de se retrouver, mais pour l’heure, il vaut mieux se concentrer sur son environnement immédiat.

Il voit déjà mieux, ses yeux regardent, plissés ce méli-mélo d’homme en blouses blanches, de tuyaux plongés au sol dans de l’eau.

Des capteurs verts luminescent entourent notre homme, une batterie d’électrode est branchée sur lui, cherchant ses constantes vitales. Il ne sait pas où il est, il ne sait pas où il est. A priori, la Russie, pour le froid. Il a remarqué que certains des hommes de sciences portaient de lourdes chapkas au-dessus de leurs masques à gaz ou des fourrures en plus de leurs vestes blanches.

Quelques mots d’un homme, un regard vers le haut. L’éveillé fait de même. Au-dessus d’eux, une passerelle en acier, avec un cercle plus sombre surmonté de vitres en plexiglas. Surement le poste de commandement. Un mouvement dans les ombres, il perçoit avec ses yeux fatigués une forme floue. Un homme se trouve là-haut, le chef de cette bande ?

Quelques mots de l’homme en blouse blanche. Il ne le comprend. Mais son geste est éloquent, il lui tend une espèce de peignoir éponge en tissu sombre. L’éveillé se rend compte qu’il est nu, ou plutôt, recouvert de guenilles déchirées. Se drapant dans cette vêture, il suit l’autre homme. Il a compris qu’il voulait le mener là-haut, sur la passerelle. Pour l’heure, encore abruti par quelque chose qu’il n’arrive pas à définir, il suit, placidement, même si quelque chose dans son être, une sorte d’instinct, lui dit que ce n’est pas ce qui doit être. Il suit l’homme en blouse blanche.

C’est en arrivant en face du poste de commandement, en voyant son reflet troublé dans une vitre sale, que sa mémoire lui revient d’un coup. Il contemple ce corps, qu’il a mis tant de temps à éveiller, remettre la vie  en marche dans ses cellules, petit à coup sûr petit à coup pour débloquer enfin ses muscles, ses nerfs, ses os et tout ce qui fait de lui un homme. Un homme ? En est-il encore vraiment un ? Ce miroir incomplet lui jette au visage qui il est, un homme grand et élancé, sans peau, ou plutôt une chair rouge comme s’il avait été écorché. Et son visage, c’est peut-être le pire, un crâne, simiesque, qui lui sourit méchamment. Ce sourire le rassure, il lui rappelle qui il est, qui il a été et ce qu’il deviendra. Il est un surhomme, destiné à dominer le monde, un homme plus grand que tous les autres, parfaitement conscient de son destin. Il est Red Skull
Ses souvenirs affluent en lui, jusqu’à son dernier.Cette chute qui aurait dû être mortelle dans les Ténèbres et les Glaces de l’Océan Arctique…Il se rappelle qui il est, il se rappelle d’où il vient, il se rappelle être Johan Schmidt, alias Red Skull.

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