samedi 4 février 2012

Du sud au nord, un Aquilonien en Cimmérie


 Inspiration: Conan le Barbare, peut-être est-ce que ça finira en nouvelles ?


Un cheval broute dans la steppe, près d’une petite yourte abandonnée au bord d’une route, un simple sillon de trois pas de large, d’une terre brune battue et rebattue par le vent glacial.
Son cavalier boit à une outre d’eau, entouré d’une nuée de gamins crasseux, attendant qu’une femme entre deux âges, grande et forte mais déjà rabougrie par le temps et de multiples grossesses, prépare un insipide brouet de mouton clair.

L’homme est grand et mince, vêtu d’une lourde cape en cuir bordée d’hermine, qui cache sous ses replis une armure de cuire bouillie et de bronze. Il est chaussé de longues bottes fourrées, et a posé sur son paquetage une chapka en peau de loup des steppes, qui protège dans sa chevauchée son visage clair de la froidure de l’automne.

Ses cheveux longs, noir de jais, vole avec le vent, passant régulièrement  devant ses yeux bleus glace. Il les enlève d’un geste distrait de la main, qu’il repose immédiatement sur la poignée en bronze de sa lourde épée.

La femme le sert, il boit vite la soupe, donne quelques anneaux de bronze à la femme, qui lui décroche des morceaux de viandes fumées dur comme la glace. Il les enfonce dans ses fontes, avant de charger sa monture sur laquelle il grimpe immédiatement, la faisant partir dans un petit galop qui soulève des mottes de terre.

Les gamins courent derrière lui, criant dans leur langue chantante, sautillant et faisant des roues. Le plus vieux d’entre eux, un garçon d’une dizaine d’années, retourne en courant vers la yourte. Sa mère est assise sur un banc et reprise des vêtements, tandis que lui passe sous l’auvent de feutre. Dans la tente, une vieille femme se tient près du feu, réchauffant ses os perclus d’arthrose à la flamme de bois vert, lançant des osselets et des pierres de couleurs dans un cercle de fil rouge, les ramassant aussitôt de ses longues griffes.

« Grand-mère, pourquoi un homme du Sud monte vers le Nord ? » demande le garçon, s’asseyant à côté de la femme.

Elle ne répond pas, elle ressort des osselets de sa manche tombante, autrefois d’une couleur claire aujourd’hui délavée, et les relance dans le cercle, avant de cracher un énorme glaviot rougeâtre de racine de bétel dans le feu, déclenchant une explosion de flammes.

« Cet homme cherche la mort, et un jour il la trouvera, mais pas avant d’être devenu le Dieu Blanc de la guerre, le seigneur des batailles qui couvrira le monde de sang… » Dit-elle dans un souffle rauque, possédée par la mort. « Tu le reverras peut-être mon enfant, à moins qu’il ne meurt avant, son âme et son esprit sont aussi embrouillés que les fils de la Moïra. Laisse-moi maintenant, je suis fatigué »
Le jeune garçon se lava, salua sa grand-mère en pliant son corps en deux, avant de ressortir à ses jeux d’enfants, ayant déjà oublié les obscures paroles de la vieille. Celle-ci, seule, se remet tranquillement à jouer avec ses osselets, invoquant les dieux et la chance par des mantras. Pour elle ou pour le jeune cavalier ?




Deux semaines de voyage dans la steppe, et le voilà aux pieds des contreforts des monts de Cimmérie. Le jeune cavalier ne ressemble plus du tout à ce qu’il était voilà deux mois. Il n’est plus l’officier de la garde royale, capitaine guerrier, vétéran de dizaines de batailles et de presque autant de guerres. Il n’est plus bien rasé, portant une armure d’un cuir noir de la meilleure qualité, rehaussé de bronze poli jusqu’à prendre la couleur de l’argent pur par ses serviteurs. Il est hâves, les yeux cernés, et une barbe drue lui décore les joues d’un chaume noir, sans compter la crasse et l’odeur.
Il était, aimé de ses hommes comme des femmes, Deucalion le Cimmérien était fils de Patricien, bien que de sang-mêlé…Et cet héritage l’avait conduit ici, après le sang et la mort.

Son père était un grand homme politique, un des vieux sénateurs. Une cabale l’avait désavoué, et fait assassiner dans une nuit de sang toute sa famille. Son père n’avait rien vu venir, il croyait encore avoir l’appui du roi, cet « amitié » s’était soldé par sa tête au bout d’une pique par une aube froide d’hiver. Deucalion se trouvait à des milles de là, sur la frontière Sud du royaume, à se battre contre les stygiens. Un de ses amis l’avait prévenu. Les Cavaliers Noirs, les âmes damnées du Grand Prêtre Ashan Tull venaient pour lui. Il avait dû fuir, dans les ténèbres. Quitter le pays, quitter les terres qui l’avaient vu naître, pour lesquelles il avait versé maintes fois son sang, malgré son jeune âge. Son corps était marqués par les cicatrices depuis ses quinze ans, il était un soldat et un fils d’Aquilonie. Mais il devait fuir, comme un chien, courir pour sa vie, car il n’avait plus rien.

Deucalion arrivait en vue du fort Kardamo, la dernière forteresse d’Aquilonie avant la Cimmérie et le grand Nord. Le dernier avant-poste de la civilisation. La nui allait tombante, et il accéléra l’allure de sa monture.

La civilisation était un piètre mot pour décrire le fort. Ses murs cyclopéens étaient bien le reflet de l’ancienne grandeur de l’Aquilonie, mais la vérité était que tout partait en ruine. Certaines portions du mur s’étaient écroulées, et avait été remplacées par un assemblage de glaise et de pierres mêlées, sur lequel avait été planté de grand tronc de sapins à peine dégrossi par la flamme et l’herminette.
L’intérieur de la forteresse était un vaste bazar digne d’un caravansérail de Shem ou de Stygie. Des yourtes et des cabanes étaient posées un peu partout, délimitant des ruelles tortueuses et boueuses, pleine de fange et d’immondices, qui grimpaient vers un bastion fortement armé. Après deux semaines dans la steppe, l’odeur était particulièrement pénétrante.

Les hommes étaient pire, toutes les races de l’Hyperborée étaient représentés, des marchands de Shem dans leurs soieries, aux barbares nomades des steppes de Khitaï, en passant par des Argosséens corsetés de bronze et des redoutables guerriers du nord, caparaçonnés dans des tuniques en mailles et fourrures. Hommes ou femmes, mercenaires et chasseurs de primes, exclus de la société des terres civilisées qui recréaient un monde, leur monde, dans les terres les plus excentrées et barbares qu’il soit.

Des putains grasses ou maigres, de toutes les couleurs de peau, se tenaient aux balustrades de bicoques en bois, décrivant aux guerriers et mercenaires des plaisirs multiples pour quelques anneaux de bronzes. Des jeux et des tables étaient remplis de victuailles alléchantes, pour peu qu’on ait de l’argent, ainsi que de divers concours, du bras de fer aux cartes en os en passant par les batailles de coup de boules. Quelques rares devins et prestidigitateurs venaient se faire quelques monnaies et passer la saison d’hiver au chaud, buvant force vin et mangeant à satiété pour peu qu’ils disaient ce que les hommes attendaient. 

C’était une fête permanente de gens d’armes, et de temps en temps un cri perçant se faisait entendre, quand un mauvais payeur ou un tricheur se faisait poignarder sauvagement. Les soldats ne faisaient rien, profitant plutôt du spectacle dans leurs rares permissions, avant de retourner scruter les ténèbres vides autour de braseros à peine tièdes et de catapultes qui moisissaient sans ennemis à combattre.
Pour Deucalion, le pourrissement de la « civilisation » se trouvait ici…

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