Inspiration: Conan le Barbare, peut-être est-ce que ça finira en nouvelles ?
Un cheval broute dans la steppe, près d’une petite yourte
abandonnée au bord d’une route, un simple sillon de trois pas de large, d’une
terre brune battue et rebattue par le vent glacial.
Son cavalier boit à une outre d’eau, entouré d’une nuée de
gamins crasseux, attendant qu’une femme entre deux âges, grande et forte mais déjà
rabougrie par le temps et de multiples grossesses, prépare un insipide brouet
de mouton clair.
L’homme est grand et mince, vêtu d’une lourde cape en cuir
bordée d’hermine, qui cache sous ses replis une armure de cuire bouillie et de
bronze. Il est chaussé de longues bottes fourrées, et a posé sur son paquetage
une chapka en peau de loup des steppes, qui protège dans sa chevauchée son
visage clair de la froidure de l’automne.
Ses cheveux longs, noir de jais, vole avec le vent, passant
régulièrement devant ses yeux bleus
glace. Il les enlève d’un geste distrait de la main, qu’il repose immédiatement
sur la poignée en bronze de sa lourde épée.
La femme le sert, il boit vite la soupe, donne quelques
anneaux de bronze à la femme, qui lui décroche des morceaux de viandes fumées
dur comme la glace. Il les enfonce dans ses fontes, avant de charger sa monture
sur laquelle il grimpe immédiatement, la faisant partir dans un petit galop qui
soulève des mottes de terre.
Les gamins courent derrière lui, criant dans leur langue
chantante, sautillant et faisant des roues. Le plus vieux d’entre eux, un
garçon d’une dizaine d’années, retourne en courant vers la yourte. Sa mère est
assise sur un banc et reprise des vêtements, tandis que lui passe sous l’auvent
de feutre. Dans la tente, une vieille femme se tient près du feu, réchauffant
ses os perclus d’arthrose à la flamme de bois vert, lançant des osselets et des
pierres de couleurs dans un cercle de fil rouge, les ramassant aussitôt de ses
longues griffes.
« Grand-mère, pourquoi un homme du Sud monte vers le
Nord ? » demande le garçon, s’asseyant à côté de la femme.
Elle ne répond pas, elle ressort des osselets de sa manche
tombante, autrefois d’une couleur claire aujourd’hui délavée, et les relance
dans le cercle, avant de cracher un énorme glaviot rougeâtre de racine de bétel
dans le feu, déclenchant une explosion de flammes.
« Cet homme cherche la mort, et un jour il la trouvera,
mais pas avant d’être devenu le Dieu Blanc de la guerre, le seigneur des
batailles qui couvrira le monde de sang… » Dit-elle dans un souffle
rauque, possédée par la mort. « Tu le reverras peut-être mon enfant, à
moins qu’il ne meurt avant, son âme et son esprit sont aussi embrouillés que
les fils de la Moïra. Laisse-moi maintenant, je suis fatigué »
Le jeune garçon se lava, salua sa grand-mère en pliant son
corps en deux, avant de ressortir à ses jeux d’enfants, ayant déjà oublié les
obscures paroles de la vieille. Celle-ci, seule, se remet tranquillement à
jouer avec ses osselets, invoquant les dieux et la chance par des mantras. Pour
elle ou pour le jeune cavalier ?
Deux semaines de voyage dans la steppe, et le voilà aux
pieds des contreforts des monts de Cimmérie. Le jeune cavalier ne ressemble
plus du tout à ce qu’il était voilà deux mois. Il n’est plus l’officier de la
garde royale, capitaine guerrier, vétéran de dizaines de batailles et de
presque autant de guerres. Il n’est plus bien rasé, portant une armure d’un
cuir noir de la meilleure qualité, rehaussé de bronze poli jusqu’à prendre la
couleur de l’argent pur par ses serviteurs. Il est hâves, les yeux cernés, et
une barbe drue lui décore les joues d’un chaume noir, sans compter la crasse et
l’odeur.
Il était, aimé de ses hommes comme des femmes, Deucalion le
Cimmérien était fils de Patricien, bien que de sang-mêlé…Et cet héritage
l’avait conduit ici, après le sang et la mort.
Son père était un grand homme politique, un des vieux
sénateurs. Une cabale l’avait désavoué, et fait assassiner dans une nuit de
sang toute sa famille. Son père n’avait rien vu venir, il croyait encore avoir
l’appui du roi, cet « amitié » s’était soldé par sa tête au bout d’une
pique par une aube froide d’hiver. Deucalion se trouvait à des milles de là,
sur la frontière Sud du royaume, à se battre contre les stygiens. Un de ses
amis l’avait prévenu. Les Cavaliers Noirs, les âmes damnées du Grand Prêtre
Ashan Tull venaient pour lui. Il avait dû fuir, dans les ténèbres. Quitter le
pays, quitter les terres qui l’avaient vu naître, pour lesquelles il avait
versé maintes fois son sang, malgré son jeune âge. Son corps était marqués par
les cicatrices depuis ses quinze ans, il était un soldat et un fils
d’Aquilonie. Mais il devait fuir, comme un chien, courir pour sa vie, car il
n’avait plus rien.
Deucalion arrivait en vue du fort Kardamo, la dernière
forteresse d’Aquilonie avant la Cimmérie et le grand Nord. Le dernier
avant-poste de la civilisation. La nui allait tombante, et il accéléra l’allure
de sa monture.
La civilisation était un piètre mot pour décrire le fort.
Ses murs cyclopéens étaient bien le reflet de l’ancienne grandeur de
l’Aquilonie, mais la vérité était que tout partait en ruine. Certaines portions
du mur s’étaient écroulées, et avait été remplacées par un assemblage de glaise
et de pierres mêlées, sur lequel avait été planté de grand tronc de sapins à
peine dégrossi par la flamme et l’herminette.
L’intérieur de la forteresse était un vaste bazar digne d’un
caravansérail de Shem ou de Stygie. Des yourtes et des cabanes étaient posées
un peu partout, délimitant des ruelles tortueuses et boueuses, pleine de fange
et d’immondices, qui grimpaient vers un bastion fortement armé. Après deux
semaines dans la steppe, l’odeur était particulièrement pénétrante.
Les hommes étaient pire, toutes les races de l’Hyperborée
étaient représentés, des marchands de Shem dans leurs soieries, aux barbares
nomades des steppes de Khitaï, en passant par des Argosséens corsetés de bronze
et des redoutables guerriers du nord, caparaçonnés dans des tuniques en mailles
et fourrures. Hommes ou femmes, mercenaires et chasseurs de primes, exclus de
la société des terres civilisées qui recréaient un monde, leur monde, dans les
terres les plus excentrées et barbares qu’il soit.
Des putains grasses ou maigres, de toutes les couleurs de
peau, se tenaient aux balustrades de bicoques en bois, décrivant aux guerriers
et mercenaires des plaisirs multiples pour quelques anneaux de bronzes. Des
jeux et des tables étaient remplis de victuailles alléchantes, pour peu qu’on
ait de l’argent, ainsi que de divers concours, du bras de fer aux cartes en os
en passant par les batailles de coup de boules. Quelques rares devins et
prestidigitateurs venaient se faire quelques monnaies et passer la saison
d’hiver au chaud, buvant force vin et mangeant à satiété pour peu qu’ils
disaient ce que les hommes attendaient.
C’était une fête permanente de gens d’armes, et de temps en temps
un cri perçant se faisait entendre, quand un mauvais payeur ou un tricheur se
faisait poignarder sauvagement. Les soldats ne faisaient rien, profitant plutôt
du spectacle dans leurs rares permissions, avant de retourner scruter les
ténèbres vides autour de braseros à peine tièdes et de catapultes qui
moisissaient sans ennemis à combattre.
Pour Deucalion, le pourrissement de la
« civilisation » se trouvait ici…
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