Deux mains tendues, l’une vers l’autre. La première, rigide
comme un piquet ; la seconde, souple comme un roseau. Peau dorée contre
écailles caramel. Ongles rouge sang face à…des ongles absents. Deux mains qui
se croisent. Pavane lascive, erratique, érotique peut-être. Sensualité tandis
que deux avant-bras s’émeuvent sur le rythme d’une musique imaginaire. Pas de
deux pour bras tendu, menuet à trois temps pour fin doigté, pantomime pour un
tramway perdu.
Instant précieux, remonter le cours du temps, ou d’un bras.
Une épaule, la ligne d’une clavicule, la naissance d’une gorge pâle. Menton
boudeur, bouche pleine, carmine. Nez droit, lunettes qui cachent deux grands
yeux verts, qui n’ont pas abandonné, jamais. Une âme brille. Météore fulgurant
qui traverse une autre vie. Il ne l’a pas vue arriver, et c’est tombé, comme
ça, quand il n’attendait plus rien. Qu’il se sentait si bon à rien. Qu’il n’en
avait plus envie d’en faire, pour rien. Derrière ses boucles dorées, elle n’est
pas jolie. Non. Elle est belle. Parce qu’elle est une flamme. Elle brûle,
chasse le froid, fait fondre le blizzard. D’un regard, elle réchauffe un cœur
sur la réserve ; envolée la gangue de glace qui protège un palpitant qui
déraille depuis trop longtemps.
Volupté. Du bout des doigts, d’un frôlement du poignet, elle
touche son âme. L’émeut, le meut, et sa rigidité cadavérique s’envole pour une
danse éternelle. Comme il aimerait, comme il aimerait que cette minute dure…à
jamais. Se plonger dans ses yeux, s’y noyer, y (re)naître. Immuabilité d’une
chorégraphie impromptue. Duel sans armes, du bout des doigts, sans haine, de
deux âmes.
Alignement du cosmos. Deux mains se touchent, le long d’un
bras, deux regards se croisent. Se répondent. Se perdent. En un ? Les mots
fuient. Ils ne sont pas capables. Envolé l’intellect, dérobée la langue, paumé
l’écrivain. Il ne reste plus qu’un garçon qui se perd, dans un instant, pour un
instant, juste un moment, dans les yeux d’une fille femme.
Alter ego.
Bas les masques. Plus de fuite, de raisons à colère, ou
d’envie de suicide. Juste profiter de ce temps à part. Un temps pour deux. Deux
mains se croisent, s’embrassent, s’embrasent. Véroniques et passes, virent,
voltent, tournent et pirouettent. Jeu. Tu me suis, je te fuis. Je te suis tu me
fuis. Plaisir d’un instant volé au temps. Caresses, frissons, flèche décochée
au cœur. Explosion de sensations. Un météore passe. Rire triste. Et las.
L’instant s’arrête au même arrêt que le tramway. Deux bras se quittent. Deux
âmes s’envolent. Ailleurs. Infinie tristesse d’un instant qui se dérobe. Infini
d’une joie qui renaît…