Paris, la nuit. La valse violine du treizième. Ses rues
suintant le gras de la bouffe asiatique, ses devantures jade et or de
restaurants ouverts toutes la journée, ses cadavres de canards pendus et laqués
le long d’une vitre embuée. Néons rouges et lanternes de papier, pour éclairer
la nuit, faire croire qu’il n’y a pas de ténèbres, que c’est une nouvelle
année. De singes en hiver.
Paris, la nuit. Le vent qui s’engouffre dans les rues. Mord
les mains. Tranche une gorge. Arrache une écharpe. Claquement brusque d’un
cerf-volant noir, aussitôt avalé par l’obscurité.
Paris, la nuit. Le froid qui pique les yeux. Une larme coule
sur une joue mal rasée. Instant de tristesse et de joie partagée. Incertitude d’un
double sentiment, qui n’a aucun sens. Sauf celui d’avancer, ou de s’illusionner
de la plus douce des façons. Impression d’une insoutenable légèreté, tandis que
les soucis qui pèsent s’envolent le long d’un fil. Tripe arrachée de son corps.
Au bout, loin, très loin, son cœur. Qui n’est plus là.
Parti. Envolé. Disparu.
Resté de l’autre côté du RER.
Déposé au creux d’un roncier de sentiments en pleins doutes.
Epines prêtes à s’abreuver d’un sang mis à nu ; ou l’embaumer d’un parfum
de félicité. Douce amertume de ce fragile instant, tristesse d’une joie
désespérée, à attendre quelque chose.
Ou quelqu’un.
Paris, la nuit. L’attendre, elle. Sourire. Frissonnante sur
un quai de gare. Sur un panneau lumineux, les minutes qui s’égrènent, tandis
que l’envie lui prend d’arrêter le temps, tout comme l’envie de la réchauffer
dans ses bras. De l’embraser. La dévorer. Baiser ses lèvres roides. Chaleur
partagés d’un corps à corps nocturne. Hésitation. Education. Inhibition. Il ne
cède pas, tandis qu’au loin il entend siffler le train. Son cœur bat à 500
miles à l’heure. Ne pas céder. Par manque d’audace. Par manque de courage. Par
manque d’amour. Ou tout simplement parce qu’il a peur de se planter ; de
ne plus savoir-faire. Une demi-blague, et puis s’en va. Sur une note des
espoirs.