Tout est harmonie. Tout doit être dans le bon temps. Tout se
conjugue sur un seul rythme. Une voix. Une démarche. Un sens. Un corps en
mouvement suit sa propre cadence. Ou sa dissonance. Minuscule, infime,
inaperçue. Agression des sens. Musique qui déchire une oreille. Image qui fait
saigner les yeux. Caresse qui fait tressaillir d’horreur.
Fin du rythme ternaire. Dégoût d’une odeur qui ferait vomir
notre nez.
Hacher. A chier. A grands coups de tronçonneuses.
Rupture. Briser les mots. Fondre l’émaux. Déconstruire les
maux.
Ou l’inverse.
Dissonance. Le charrois des chemins du chaos ne sont pas un
autre moyen d’ordonner l’ordre ?
Briser les sens. Briser l’essence. Briser les sans.
Tue la phrase. Fin du rythme. Tonale, atonale, demi-ton. Qu’importe.
Pause.
Nouveau rythme.
Le train glisse sur ses rails de fer, serpent qui sinue en
silence au milieu de nulle part.
Phare blanc dans la nuit noire. Ses puissants photophores
déchirent la ténébreuse froidure.
Dehors, ambiance sépulcrale d’un début de neige, linceul à
cinquante nuances de gris de nuages
étouffant les étoiles de la voie lactée.
Dans la rame, le néon grésille, manque de sauter, avant de s’éteindre,
une fois, se rallume, puis s’efface, définitivement. Demi-pénombre mortuaire de
visages blafards chichement éclairés par les lumières ternes d’intelligents
téléphones. Comme si tous, ce soir, demain, au détour d’une bombe, dans le
creux d’une explosion en chemin, on se trouvait déjà dans la tombe promise le
jour de notre naissance.
Le serpent de fer et d’acier se coule dans son ennui. Les
tours de la Défense brillent. Altières, rouges et blanches. Veloutées dans la
nuit bleue. Avant de s’enfoncer dans la gueule noire d’un tunnel charbon.
Et puis, Paris, elle, brille d’un halo blanc suaire, velours
albâtre sur un squelette noir de bâtiments assoupis. Déjà. Alors qu’il n’est
pas mi nuit.
Envie d’une ballade le long des quais de Seine. Seul. Comme
un Américain à Paris. Je suis certain qu’elle brille de mille reflets. Magie
des nuits d’hiver. Comme la beauté d’une femme assoupie.
Faux semblant qui révèle une vérité crue, nue, fichue. Aux
portes de Saint Lazare, passé l’écharpe blanche et rouge du périphérique, tout
devient noir. Gueule de charbon d’un colosse besogneux qui ne cherche qu’à
engouffrer dans sa grande gueule une véritable usine à voyages. Dans ce noir
sépulcral, le reflet de ses yeux se brouille, tandis qu’une larme roule sur sa
joue. Température de tombeau. Infinie tristesse. Gel. Chaleur. Tout s’embrouille.
Tandis que son cœur se serre à la crainte d’un souvenir dans la glace du tendre
visage qu’il aimerait effacer.
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