jeudi 3 juillet 2014

Surprise Surprise

Le sourire sur le visage d’Obéron se fit mi-figue mi-raisin, cruel ou amusé, c’était à Kazhenn de choisir. On aurait dit un chat se pourléchant les babines tandis qu’il joue avec une souris, comme si la proposition de sa jeune compagne l’amenait à soupeser le pour et le contre de se montrer un être méchant et rapace, ou au contraire complètement magnanime. Pourtant il lui répondit, sur le même ton qu’il utilisait depuis le début, tout en velours :

« Voyons milady, pensez-vous réellement que je sois quelqu’un de cruel ? Je tancerai surement les gens qui devaient garder ce petit maroquin oui. Mais leur faire un sort funeste…Non ce n’est pas mon genre. Et puis, ça a pu prouver vos petits…Talents »

Il avait penché son visage, noble et hautain, sur le côté, comme si en parlant de punition elle avait réussi à le choquer. Pourtant…Pourtant il ne pouvait pas se dépareiller de son petit sourire, comme s’il se réservait réellement le droit de réserver un sort funeste à ses sbires. Tel était Obéron, qui pouvait passer d’un extrême à l’autre, sans coups de canons ni même tocsin, comme si cela allait de soi de passer d’une colère froide et raisonnée à de grandes démonstrations d’amitiés et de chaleurs. Homme d’un pouvoir ténébreux, il aimait à jouer devant son public, représentation toujours gratuite, mais qui pouvait toujours virer du drame à la comédie, selon le bon plaisir de cet homme entre deux âges.

Arrivant devant de la porte cochère, ouverte éclairée par une torche qui brûlait une partie de la nuit pour éclairer les gens qui entraient et ressortaient de ce petit palais parisien, à vrai dire plus un hôtel particulier aménagés maintes et maintes fois depuis les guerres de religion, où le corps principal était en fait une ancienne église où des protestants se réunissaient en secrets, la jeune fille et son compagnon purent entendre un sifflement. Obéron sourit, et commenta doucement, dans un murmure :

« Je crois que vos petits tours ont alerté la maisonnée. Allons-y, ne montrez rien je vous prie. Je ne suis pas censé être au courant is not it ? »

De la grande porte du palais bondit un jeune galopin, habillé en ouvrier, godillots cloutés, pantalon de grosse serge, chemise de lin écrue et béret posé de travers à dessein, qui se reposait nonchalamment mais son saut rapide montrait qu’il attendait le maître des lieux depuis un moment. La cour était vide, mais on pouvait voir à travers les grandes fenêtres creusées sous Louis XIV à l’imitation de Versailles des ombres chinoises qui ne jouaient pas aux petits jeux habituels de la maisonnée. Le rez-de-chaussée était en effet le lieu de résidence des gredins d’Obéron, professionnels de la cambriole et autres receleurs mais surtout d’artistes plus ou moins bohèmes, Anglais pour la plupart, qui venaient dans la France encore ensommeillée connaître l’exotique romantisme d’un pays encore profondément rural, bien loin des brumes et du fog de l’East End ou de Manchester.  Cette jeune génération, qui inventaient à vraie dire un nouvel art grâce aux peintures en gouaches et autres petits chevalets, étaient les protégés du vendeur d’art, qui envoyaient leurs œuvres un peu partout dans le monde, du moins, c’était sa fonction officielle pour les autorités Françaises.

Le gamin arriva et passa deux doigts à l’angle de son chapeau pour saluer, mais il dévisageait, curieux, la jeune demoiselle qui accompagnait Obéron. Il dit avec son accent de titi :

« S’lut patron ! C’va bien ? Si j’puis me permet’, c’qui la gaupe ? »

« My dear boy, sois un peu sage et dit bonjour convenablement d’abord. Kazhenn, je vous présente ce maudit galopin, il s’appelle Robin, Robin Boncompère. Mon petit protégé. Et le grand et gros monsieur distingué qui sort derrière lui s’appelle Huon. Mon chauffeur »

En effet, un homme entre trente et quarante ans, grand et bien charpenté, tout en muscle, arrivait. Il portait un chapeau melon et un complet veston qui semblait prêt de craquer, ainsi que des gants bien blancs. Pourtant, pour un chauffeur, on aurait plutôt dit un homme de main, ne serait-ce qu’à cause de la balafre qui défigurait ce visage buriné et dont les os semblaient avoir plusieurs fois éclaté sous les coups d’un boxeur.

« Mademoiselle » dit-il dans un accent tout aussi parisien, mais plus châtié, avant de reprendre « Sir…On a un petit problème. Je veux dire »

Obéron leva une main pour tranquilliser le chauffeur et dit en riant:

« Allons en parler au salon bleu jeunes gens. Nous n’allons pas parler business ici non ? Et oui la demoiselle vient avec nous. »


Tenant toujours le bras de la jeune fille, il laissa là le gamin et le chauffeur, bouche bée. C’était la première fois que leur patron ramenait une fille ici, en dehors d’une ou deux poules de luxe, et qu’il proposait d’aller au salon bleu. Le quartier général des affaires malhonnêtes d’Obéron. 

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