Le sourire sur le visage d’Obéron se fit mi-figue mi-raisin,
cruel ou amusé, c’était à Kazhenn de choisir. On aurait dit un chat se
pourléchant les babines tandis qu’il joue avec une souris, comme si la
proposition de sa jeune compagne l’amenait à soupeser le pour et le contre de
se montrer un être méchant et rapace, ou au contraire complètement magnanime.
Pourtant il lui répondit, sur le même ton qu’il utilisait depuis le début, tout
en velours :
« Voyons milady, pensez-vous réellement que je sois
quelqu’un de cruel ? Je tancerai surement les gens qui devaient garder ce petit
maroquin oui. Mais leur faire un sort funeste…Non ce n’est pas mon genre. Et
puis, ça a pu prouver vos petits…Talents »
Il avait penché son visage, noble et hautain, sur le côté,
comme si en parlant de punition elle avait réussi à le choquer. Pourtant…Pourtant
il ne pouvait pas se dépareiller de son petit sourire, comme s’il se réservait
réellement le droit de réserver un sort funeste à ses sbires. Tel était Obéron,
qui pouvait passer d’un extrême à l’autre, sans coups de canons ni même tocsin,
comme si cela allait de soi de passer d’une colère froide et raisonnée à de
grandes démonstrations d’amitiés et de chaleurs. Homme d’un pouvoir ténébreux,
il aimait à jouer devant son public, représentation toujours gratuite, mais qui
pouvait toujours virer du drame à la comédie, selon le bon plaisir de cet homme
entre deux âges.
Arrivant devant de la porte cochère, ouverte éclairée par
une torche qui brûlait une partie de la nuit pour éclairer les gens qui
entraient et ressortaient de ce petit palais parisien, à vrai dire plus un
hôtel particulier aménagés maintes et maintes fois depuis les guerres de
religion, où le corps principal était en fait une ancienne église où des
protestants se réunissaient en secrets, la jeune fille et son compagnon purent
entendre un sifflement. Obéron sourit, et commenta doucement, dans un murmure :
« Je crois que vos petits tours ont alerté la
maisonnée. Allons-y, ne montrez rien je vous prie. Je ne suis pas censé être au
courant is not it ? »
De la grande porte du palais bondit un jeune galopin,
habillé en ouvrier, godillots cloutés, pantalon de grosse serge, chemise de lin
écrue et béret posé de travers à dessein, qui se reposait nonchalamment mais
son saut rapide montrait qu’il attendait le maître des lieux depuis un moment.
La cour était vide, mais on pouvait voir à travers les grandes fenêtres
creusées sous Louis XIV à l’imitation de Versailles des ombres chinoises qui ne
jouaient pas aux petits jeux habituels de la maisonnée. Le rez-de-chaussée
était en effet le lieu de résidence des gredins d’Obéron, professionnels de la
cambriole et autres receleurs mais surtout d’artistes plus ou moins bohèmes,
Anglais pour la plupart, qui venaient dans la France encore ensommeillée
connaître l’exotique romantisme d’un pays encore profondément rural, bien loin
des brumes et du fog de l’East End ou de Manchester. Cette jeune génération, qui inventaient à
vraie dire un nouvel art grâce aux peintures en gouaches et autres petits
chevalets, étaient les protégés du vendeur d’art, qui envoyaient leurs œuvres un
peu partout dans le monde, du moins, c’était sa fonction officielle pour les
autorités Françaises.
Le gamin arriva et passa deux doigts à l’angle de son
chapeau pour saluer, mais il dévisageait, curieux, la jeune demoiselle qui
accompagnait Obéron. Il dit avec son accent de titi :
« S’lut patron ! C’va bien ? Si j’puis me
permet’, c’qui la gaupe ? »
« My dear boy, sois un peu sage et dit bonjour convenablement
d’abord. Kazhenn, je vous présente ce maudit galopin, il s’appelle Robin, Robin
Boncompère. Mon petit protégé. Et le grand et gros monsieur distingué qui sort
derrière lui s’appelle Huon. Mon chauffeur »
En effet, un homme entre trente et quarante ans, grand et
bien charpenté, tout en muscle, arrivait. Il portait un chapeau melon et un
complet veston qui semblait prêt de craquer, ainsi que des gants bien blancs.
Pourtant, pour un chauffeur, on aurait plutôt dit un homme de main, ne serait-ce
qu’à cause de la balafre qui défigurait ce visage buriné et dont les os
semblaient avoir plusieurs fois éclaté sous les coups d’un boxeur.
« Mademoiselle » dit-il dans un accent tout aussi
parisien, mais plus châtié, avant de reprendre « Sir…On a un petit
problème. Je veux dire »
Obéron leva une main pour tranquilliser le chauffeur et dit en
riant:
« Allons en parler au salon bleu jeunes gens. Nous n’allons
pas parler business ici non ? Et oui la demoiselle vient avec nous. »
Tenant toujours le bras de la jeune fille, il laissa là le
gamin et le chauffeur, bouche bée. C’était la première fois que leur patron
ramenait une fille ici, en dehors d’une ou deux poules de luxe, et qu’il
proposait d’aller au salon bleu. Le quartier général des affaires malhonnêtes d’Obéron.
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