La chasse avait commencé à l’aube, le petit sloop de commerce courait comme un lièvre, poursuivi par le Vicious
depuis. Et pour l’heure, l’après-midi était bien avancée, l’astre
solaire commençait de plonger dans leur dos, tandis qu’ils voguaient
vers l’Est.
Leur proie essayait de s'échapper vent arrière en
louvoyant, changeant souvent de direction, maîtrisant admirablement leur
voile, donnant un ris quand il le fallait, et sans jamais faseyer. Le Vicious
était bien commandé, mais plus grand il s’était approché de la petite
voile en peinant, ayant du mal à louvoyer. Leur proie était passée d'un
petit point blanc sur l'horizon à une coque et un drapeau de la
République Batave.
Elle essaya encore de changer de direction.
C’était peine perdue, vent arrière, le vaisseau du capitaine Sid allait
presque aussi vite que le Pearl, et leur proie n’avait jamais pu
s’échapper au cours de la longue journée, perdant peu à peu les quelques
milles d’avance qu’elle avait avant de voir apparaitre le terrifiant
navire pirate.
C’est pour cela que e jeune mousse sentait les
nerfs de l’équipage à vif après cette longue course, tandis que sur la
dunette, le pilote, le voilier et le capitaine Sid parlaient peu,
concentrés sur leur chasse, donnant un ordre sec régulièrement, tandis
que tous les matelots attendaient avec une certaine anxiété, ou une
féroce fureur, d’attraper ce maudit Hollandais.
C’était donc ça
une chasse ? Il se posait la question, des marins si courtois entre eux
d’habitudes, pour des pirates, ne parlaient pas, grinçant des dents
constamment, tout en aboyant s’il avait le malheur de se mettre en
travers de son chemin. Pour passer le temps, certains aiguisaient leur
coutelas, d’autres jouaient au dés en jetant de fréquents coups d’œil
par-dessus le bastingage, tandis que les plus sereins dormaient, ou du
moins, c’est ce qu’ils laissaient paraître, leurs yeux cachés par le
bord de leurs grands chapeaux.
Les plus farauds essayaient de
deviner ce qui pouvait bien se cacher dans ce bâtiment pour que le
capitaine n’abandonne pas la course, et que leur proie faisait tout pour
ne pas se faire attraper. Certains disaient du tabac ou de la
cochenille, les plus avides pensaient à de l’or, Jim la Luxure lui avait
dit haut et fort que c’était forcément la fille du gouverneur de
Curaçao qui venait d’arriver dans les Indes Occidentales, et que ce bel
oiseau de paradis allait bientôt se faire déplumer, peut-être par notre
jeune mousse, ce qui avait eu pour conséquent une quinte de toux grasse
des membres de l’équipage avant qu’un ordre sec du canonnier ne les
renvoi à leur passe-temps.
Pour l’heure actuelle, le mousse
était aux mains de l’artilleur qui lui avait fait sortir quelques
gargousses de poudre qu’ils avaient fixées près des canons dans une
toile cirée, pour la protéger des vagues. C’était une précaution
nécessaire, du moins c’est ce qu’il lui avait expliqué, d’apporter tôt
la poudre, leur proie étant à portée dans quelques minutes maintenant,
pour préparer les premiers tirs avec plus d’efficacité.
C’est
pour cela qu’il montrait patiemment au mousse comment enchaîner deux
boulets, lui expliquant que si le mât ne tombait pas au premier tir, il y
avait de fortes chances que la voilure du sloop soit ravagée et qu’il
ne pourrait plus jouer avec le vent.
Tout en parlant, il avait
fait charger au gamin un boulet de métal avec des billes d’aciers,
enfoncé dans « la boite à mitraille », comme il appelait, par un trou
qu’ils fermaient par un bouchon de plomb fondu. Le canonnier n’aimait
pas cette arme, il lui avait expliqué qu’à courte portée, elle aurait pu
trouer de part en part son corps qui aurait été haché sans qu’on puisse
plus distinguer une partie d’une autre, ce qui avait fait pâlir le
gamin. En riant, il lui avait dit que c’était les dangers du marin, mais
que pour une prise, il valait mieux les garder en derniers recours,
pour débarrasser un pont des enragés qui refusaient de se rendre ou
faire peur à de trop bons marins, qui avaient peur des mutilations à vie
que ces billes pouvaient causer à une chair humaine.
Le jeune
impétrant avait demandé pourquoi ils ne comptaient pas tirer aux
boulets. Là encore, le vieil homme avait ri, oui les boulets ronds
étaient efficace, mais ils brisaient les coques, et un mauvais coup
pouvait leur faire perdre la cargaison, si par malheur l’obus fracassait
la ligne de flottaison. En revanche, il lui avait fait charger tout
seul, longue opération, un petit canon de chasse portatif de quelques
livres, posé à la proue dans un petit emplacement. Quand ils seraient à
portée, avant de donner le drapeau rouge, il tirerait son coup, pour
dire aux hollandais de se mettre en panne.
Le mousse avait
demandé ce qu’était le drapeau rouge, le marin, rembruni, lui avait dit
qu’il verrait bien assez tôt, mais que si les Hollandais était
intelligent, ils se rendraient avant d’en arriver à cette extrémité…
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