Les rires et les chants se sont tus dans la taverne du
Donjon. La Guilde est revenue victorieuse, une fois de plus, rapportant moult
trophées et pièces d’or qui garniront son trésor, enfouis loin dans les caves
de la forteresse et, dit-on, gardé par un ancien dragon endormi.
Réalité ou simple rumeur, cela ne semble pas inquiéter les
quatre personnes qui jouent silencieusement aux cartes depuis un moment, près
du comptoir, concentrés sur les morceaux de cartons et les échanges de pièces
d’argents et de cuivre. Ils viennent à peine de faire une pause, l’un d’eux, un
grand guerrier Norn, passa derrière le comptoir, et sans réveiller le jeune
homme endormi appuyé sur le comptoir, remplit cinq grands pichets d’une bière
rousse délicieuse.
Les autres membres de la Guilde étaient soit couchés, soit
discutaient à mi-voix dans le grand hall de terre battue en buvant le même
liquide ambré.
Revenu à la table, le guerrier Norn déposa les bocks devant
les joueurs attablés. Un grand Chaar se déplia de tout son long, réprimant un
bâillement, le craquement de sa chaise gêne le jeune dormeur qui bougea
inconsciemment avant de laisser échapper un ronflement sonore qui fait sourire
l’assistance. Une jeune femme, habillée d’une tenue couleur automne qui
épousait ses formes harmonieuses, passa ses longs doigts fins comme des
branches dans ses cheveux, aussi fins que des racines d’une jeune pousse.
« Il se fait tard », dit-elle d’une voix aiguë,
presque enfantine.
« Eyris, Eyris, Eyris. Ne me dis pas que tu es fatiguée
mon enfant. » Répond une voix profonde et caverneuse, presque sépulcrale,
tandis que claque un volet au loin. Cela fit sursauter tout le monde, mais les
trois visages se tournèrent vers le petit homme emmitouflé dans une robe vert
foncé, tirant presque sur le noir, assis sur une pile de coussins. Ses yeux
jaunes brillants pétillaient de malice sous son capuchon. Il exhala alors une
longue bouffée de fumée qui entoure sa tête d’un nuage, ce qui qui le fit
tousser, révélant un visage en forme de citron, de longues oreilles comme celle
de lapins et un sinistre tatouage en forme de démon grimaçant.
Tous rirent de sa déconvenue, réveillant en sursaut le
dormeur et faisant se tourner vers eux les rares survivants du banquet. Le
Chaar manqua s’étouffer en sifflant sa deuxième bière, et gronde.
« Mog. Arrête de faire l’imbécile avec tes sortilèges.
Eyris a raison, il est tard et tu nous plumes tous depuis tout à
l’heure. »
Innocemment, le dénommé Mog regarda le grand Chaar, arrêtant
un instant de battre les cartes.
« Je n’ai fait que jouer. Et Grenth était avec moi on
dirait » rétorqua Mog dans un grand sourire, tout en contemplant d’un
regard amoureux les pièces soigneusement empilées devant lui.
« Comme d’habitude. » répliqua le Norn en buvant
une gorgée de bière « Allez, dernière partie. Ou alors, tu nous racontes
une histoire. »
« Raconte-nous ton histoire ! Tu ne l’as
jamais racontée en plus» renchérit Eyris, faisant battre ses longs cils, arme
qu’elle usait avec autant d’adresse que de sa magie ou sa longue épée.
Mog contempla l’assemblée de ses camarades. Le Chaar
acquiesça silencieusement. Il était de coutume, dans les veillées de la Guilde,
qu’un conteur prenne la parole.
« Vous savez très bien que je n’aime pas ça.» gémit
l’Asura.
« Mais bien sûr. » répondent-ils tous en cœur,
comme si c’était une habitude
« Bon, bon. D’accord. Mais ne venez pas vous plaindre
après si vous avez des cauchemars» répondit-il en rangeant les cartes dans une
petite boîte métallique. Un raclement silencieux d’une chaise indiqua que le
jeuner serveur était tout ouï, comme le reste des personnes présentes dans la
salle.
Mog prenait son temps, il vida les cendres de sa pipe dans
un petit pot en terre, avant de farfouiller longuement dans les poches de sa
robe une petit boîte. Il prit une poignée d’un mélange odorant de tabac et de
lotus, avant de la fourrer dans sa pipe en terre cuite, longue et fine. Il
alluma le foyer à la mèche d’une des chandelles posée sur la table. Après avoir
tiré une longue bouffée, il but un peu de bière, et se mit alors à parler.
« Toute histoire commence par une naissance, et ma foi,
la mienne a été comme toute celle de mon peuple, ma mère était la matrice et
les fluides de mon père le matériel qui la remplit. Quelques mois plus tard j’étais
né, dans la souffrance et le sang…Trop de sang. »
Mog ne se souvenait pas de cette nuit. Des cris, des
hurlements et de la mort. L’attaque des Centaures sur la petite colonie Asura
avait été brusque, son père était parti en hâte dans son golem d’acier pour ne
jamais revenir. Et sa mère, sa mère s’était sacrifiée pour qu’il vive, comme le
lui avait raconté Vieille Nars.
Vieille Nars. Une rebouteuse du village, haï par les
« inventeurs » pour ses recherches proche de la vie et de la mort.
Vieille Nars. Sa vraie mère. Mog lui devait tout, elle avait pris en charge le
jeune orphelin, le confiant à une famille qui venait de perdre leur enfant.
Tous les soirs, elle venait lui compter des légendes sur les temps Anciens, sur
la Guerre des Guildes, les chefs humains comme Rurik, et son fidèle capitaine,
Mattias Von Wolff, le grand nécromancien guerrier. Elle lui apprenait le nom
des plantes, des bêtes et des oiseaux. Il dévorait les ouvrages qu’elle lui
offrait, et il mettait en pratique dans de longues promenades solitaires son
savoir.
Mog n’aimait pas sa famille, qui réfléchissait nuit et jour
aux mathématiques combinatoires et autres problèmes de physiques. Certes, ils
étaient gentils, mais ce que lui aimait, c’était la liberté, sentir le vent
dans ses oreilles, la chaleur du soleil. Et savoir d’où cela provenait, d’où
venait la vie, et la mort.
Dès ses sept ans, ils parcouraient sans relâches les terres
de Rata Sum, les connaissant presque mieux, si ce n’est plus, que la Garde Golémancienne.
Il s’extasiait devant les formes de vies, des plus grandes aux plus minuscules,
et appréciait tout particulièrement les insectes. Durs, travailleurs, mais
aussi si fragile…Comme lui et les Asura en somme. Un coup de talon, et ils
disparaissaient, laissant le vide. Tel était les secrets de la vie et de la
mort pour le jeune Asura.
Eyris avait choisi de se détendre ce soir, les
pieds sous la table et un broc d'eau fraiche à portée de main. Elle avait
troqué son armure contre une simple tunique de coton ocre et laissé ses armes
dans sa chambre. Elle-même aimait raconter des histoires, mais Mog jouait aussi
assez bien le jeu la plupart du temps. Elle était curieuse d'ailleurs d'en
connaître plus sur les origines de l'irascible nabot qui lui tenait lieu de
compagnon d'armes. Autant elle connaissait ou se doutait des origines de la
plupart d'entre eux, autant elle était sûrement la plus douée pour cacher son
histoire ou n'en révéler que les fragments qui l'intéressaient... Autant elle
était sincèrement curieuse de découvrir d'où venait le nécromant hydrophobe.
Elle s'installa donc confortablement dans son siège et prit le temps de savourer le récit, comme tous ceux passés et à venir.
Elle s'installa donc confortablement dans son siège et prit le temps de savourer le récit, comme tous ceux passés et à venir.
Son treizième anniversaire arriva. Age particulier
pour les jeunes Asura, l’âge où un maître vient les prendre en charge et leur
faire découvrir les miracles de la magie du feu, combiné aux sciences et à la
technologie avancé de cette race minuscule.
Personne ne vint chercher Mog. Il avait fui l’épreuve, il s’était réfugié dans la forêt, sous un arbre-cœur, son arbre, et il écoutait le chant des milliers d’insectes et d’oiseaux qui peuplaient le mini éco-système (Mog était très fier d’avoir inventé ce mot). Mais soudain, le chant se transforma en un cri d’alarme. Quelque chose approchait…
Personne ne vint chercher Mog. Il avait fui l’épreuve, il s’était réfugié dans la forêt, sous un arbre-cœur, son arbre, et il écoutait le chant des milliers d’insectes et d’oiseaux qui peuplaient le mini éco-système (Mog était très fier d’avoir inventé ce mot). Mais soudain, le chant se transforma en un cri d’alarme. Quelque chose approchait…
Des broussailles
émergea un petit être emmitouflé dans une tenue crasseuse et en lambeau, sorte
de gigantesque robe brun verdâtre. Le petit être, plus petit que l’Asura,
avançait lentement, s’appuyant sur un grand bâton en bois de chêne.
Mog, par instinct,
avait posé sa main sur la poignée de sa dague quand l’étranger parla :
« Tu n’as pas
besoin de ça jeune Mog… »
« Que…Quoi…Comment
connaissez-vous mon nom ? »
Le vieillard, un
Asura minuscule et tout ridé (à moins que ce ne soit la crasse de son visage)
rit d’un rire aigre et toussa. Il continuait d’avancer, et se tint devant le
jeune Mog.
« Laisse-moi
passer »
« Vous n’avez
pas répondu à la question »
Le vieillard sourit
encore une fois. Avant de pointer son bâton sur Mog. Le jeune s’effondra,
attiré au sol par une puissance inconnue. Le vieux continua de marcher et
s’assit sur une pière moussue, sous le grand chêne.
« Tu n’es pas
mieux comme ça pour parler ? Nous allons discuter mon fils…Pour ta
gouverne, sache que je sais des choses…pleins de choses. Mais tu es trop jeune
pour que je te l’enseigne petit ! » Sa voix était sifflante,
comme celle d’un souffreteux.
« Je ne suis
pas petit j’ai… »
« Treize année
fils de Nars. Tu ne sais rien…tu n’es même pas apprenti…Petit » répliqua
l’Asura inconnu en éclatant d’un rire toujours aussi aigre.
Mog commençait de
voir rouge. Ce vieux se moquait de lui. Et comment il connaissait Nars au
juste ?
« Tu es en
colère. Je serais toi, je ne ferais pas ce que tu projettes » reprit l’Asura,
sortant une pipe de son havresac en cuir. « Sauf si tu as des couilles de
Balrog gamin »
S’en était trop
pour la fierté de Mog. Ce vieux ne le connaissait pas. Il dégaina sa dague et
se jeta sur le vieux…Avant de se retrouver à quinze mètre de lui, écrasé par un
poids extrêmement lourd sur le sol. Le vieillard s’était rassis. Mog analysait
la situation, il avait bondi, sur de son coup pour menacer le vieux, quand ce
dernier avait tendu un bras et…Une explosion de douleur le prenait, ainsi que
la nausée tandis qu’un liquide épais coulait sur son visage. Commotionné, Mog
rouvrit les yeux, pour voir un énorme chien le menacer de ses crocs. Sauf que
ce chien puait la mort, avec la peau de son visage en lambeau.
« Je crois que
tu as excité un peu trop Cerbère fils. Allez, cessons de jouer. » Le
vieux siffla puis alluma sa pipe, le chien mort grogna et recula jusqu’à lui,
sans quitter de ses yeux jaunes le jeune Asura.
« Tu as treize
ans. Et tu ne sais rien…Et moi, je suis là pour t’apprendre fils de Nars. Je
t’observe depuis un moment. Tu es loin des Asuras, de leur certitudes
scientifiques » il souffla un énorme panache de fumée. Puis il se
redressa, Mog remarqua alors que le maître était bien plus grand qu’il ne
paraissait, coulé dans les ombres du jour déclinant « Mog, fils adoptif de
Vieille Nars, veux-tu apprendre les mystères de la vie et de la
mort ? Souhaites-tu devenir le serviteur des vrais Dieux ?
Suivras-tu la voie de Grenth ?»
Mog voyait le
pouvoir qui s’écoulait du maître. La puissance brute de la magie primordiale,
l’ancienne magie disparue avec l’arrivée des dragons. Derrière, il voyait des
noms, Rurik, Devona, Menlho…Et Grenth, le seigneur de la mort, et son fidèle
serviteur, Mattias Von Wolff, le héros des Légendes…
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