mercredi 13 juin 2012

Background Mog


Les rires et les chants se sont tus dans la taverne du Donjon. La Guilde est revenue victorieuse, une fois de plus, rapportant moult trophées et pièces d’or qui garniront son trésor, enfouis loin dans les caves de la forteresse et, dit-on, gardé par un ancien dragon endormi.

Réalité ou simple rumeur, cela ne semble pas inquiéter les quatre personnes qui jouent silencieusement aux cartes depuis un moment, près du comptoir, concentrés sur les morceaux de cartons et les échanges de pièces d’argents et de cuivre. Ils viennent à peine de faire une pause, l’un d’eux, un grand guerrier Norn, passa derrière le comptoir, et sans réveiller le jeune homme endormi appuyé sur le comptoir, remplit cinq grands pichets d’une bière rousse délicieuse.
Les autres membres de la Guilde étaient soit couchés, soit discutaient à mi-voix dans le grand hall de terre battue en buvant le même liquide ambré.

Revenu à la table, le guerrier Norn déposa les bocks devant les joueurs attablés. Un grand Chaar se déplia de tout son long, réprimant un bâillement, le craquement de sa chaise gêne le jeune dormeur qui bougea inconsciemment avant de laisser échapper un ronflement sonore qui fait sourire l’assistance. Une jeune femme, habillée d’une tenue couleur automne qui épousait ses formes harmonieuses, passa ses longs doigts fins comme des branches dans ses cheveux, aussi fins que des racines d’une jeune pousse.

« Il se fait tard », dit-elle d’une voix aiguë, presque enfantine.

« Eyris, Eyris, Eyris. Ne me dis pas que tu es fatiguée mon enfant. » Répond une voix profonde et caverneuse, presque sépulcrale, tandis que claque un volet au loin. Cela fit sursauter tout le monde, mais les trois visages se tournèrent vers le petit homme emmitouflé dans une robe vert foncé, tirant presque sur le noir, assis sur une pile de coussins. Ses yeux jaunes brillants pétillaient de malice sous son capuchon. Il exhala alors une longue bouffée de fumée qui entoure sa tête d’un nuage, ce qui qui le fit tousser, révélant un visage en forme de citron, de longues oreilles comme celle de lapins et un sinistre tatouage en forme de démon grimaçant.

Tous rirent de sa déconvenue, réveillant en sursaut le dormeur et faisant se tourner vers eux les rares survivants du banquet. Le Chaar manqua s’étouffer en sifflant sa deuxième bière, et gronde.

« Mog. Arrête de faire l’imbécile avec tes sortilèges. Eyris a raison, il est tard et tu nous plumes tous depuis tout à l’heure. »

Innocemment, le dénommé Mog regarda le grand Chaar, arrêtant un instant de battre les cartes.

« Je n’ai fait que jouer. Et Grenth était avec moi on dirait » rétorqua Mog dans un grand sourire, tout en contemplant d’un regard amoureux les pièces soigneusement empilées devant lui.

« Comme d’habitude. » répliqua le Norn en buvant une gorgée de bière « Allez, dernière partie. Ou alors, tu nous racontes une histoire. »

« Raconte-nous ton histoire ! Tu ne l’as jamais racontée en plus» renchérit Eyris, faisant battre ses longs cils, arme qu’elle usait avec autant d’adresse que de sa magie ou sa longue épée.

Mog contempla l’assemblée de ses camarades. Le Chaar acquiesça silencieusement. Il était de coutume, dans les veillées de la Guilde, qu’un conteur prenne la parole.

« Vous savez très bien que je n’aime pas ça.» gémit l’Asura.

« Mais bien sûr. » répondent-ils tous en cœur, comme si c’était une habitude

« Bon, bon. D’accord. Mais ne venez pas vous plaindre après si vous avez des cauchemars» répondit-il en rangeant les cartes dans une petite boîte métallique. Un raclement silencieux d’une chaise indiqua que le jeuner serveur était tout ouï, comme le reste des personnes présentes dans la salle.

Mog prenait son temps, il vida les cendres de sa pipe dans un petit pot en terre, avant de farfouiller longuement dans les poches de sa robe une petit boîte. Il prit une poignée d’un mélange odorant de tabac et de lotus, avant de la fourrer dans sa pipe en terre cuite, longue et fine. Il alluma le foyer à la mèche d’une des chandelles posée sur la table. Après avoir tiré une longue bouffée, il but un peu de bière, et se mit alors à parler.

« Toute histoire commence par une naissance, et ma foi, la mienne a été comme toute celle de mon peuple, ma mère était la matrice et les fluides de mon père le matériel qui la remplit. Quelques mois plus tard j’étais né, dans la souffrance et le sang…Trop de sang. »

Mog ne se souvenait pas de cette nuit. Des cris, des hurlements et de la mort. L’attaque des Centaures sur la petite colonie Asura avait été brusque, son père était parti en hâte dans son golem d’acier pour ne jamais revenir. Et sa mère, sa mère s’était sacrifiée pour qu’il vive, comme le lui avait raconté Vieille Nars.

Vieille Nars. Une rebouteuse du village, haï par les « inventeurs » pour ses recherches proche de la vie et de la mort. Vieille Nars. Sa vraie mère. Mog lui devait tout, elle avait pris en charge le jeune orphelin, le confiant à une famille qui venait de perdre leur enfant. Tous les soirs, elle venait lui compter des légendes sur les temps Anciens, sur la Guerre des Guildes, les chefs humains comme Rurik, et son fidèle capitaine, Mattias Von Wolff, le grand nécromancien guerrier. Elle lui apprenait le nom des plantes, des bêtes et des oiseaux. Il dévorait les ouvrages qu’elle lui offrait, et il mettait en pratique dans de longues promenades solitaires son savoir.
Mog n’aimait pas sa famille, qui réfléchissait nuit et jour aux mathématiques combinatoires et autres problèmes de physiques. Certes, ils étaient gentils, mais ce que lui aimait, c’était la liberté, sentir le vent dans ses oreilles, la chaleur du soleil. Et savoir d’où cela provenait, d’où venait la vie, et la mort.
Dès ses sept ans, ils parcouraient sans relâches les terres de Rata Sum, les connaissant presque mieux, si ce n’est plus, que la Garde Golémancienne. Il s’extasiait devant les formes de vies, des plus grandes aux plus minuscules, et appréciait tout particulièrement les insectes. Durs, travailleurs, mais aussi si fragile…Comme lui et les Asura en somme. Un coup de talon, et ils disparaissaient, laissant le vide. Tel était les secrets de la vie et de la mort pour le jeune Asura.

Eyris avait choisi de se détendre ce soir, les pieds sous la table et un broc d'eau fraiche à portée de main. Elle avait troqué son armure contre une simple tunique de coton ocre et laissé ses armes dans sa chambre. Elle-même aimait raconter des histoires, mais Mog jouait aussi assez bien le jeu la plupart du temps. Elle était curieuse d'ailleurs d'en connaître plus sur les origines de l'irascible nabot qui lui tenait lieu de compagnon d'armes. Autant elle connaissait ou se doutait des origines de la plupart d'entre eux, autant elle était sûrement la plus douée pour cacher son histoire ou n'en révéler que les fragments qui l'intéressaient... Autant elle était sincèrement curieuse de découvrir d'où venait le nécromant hydrophobe.

Elle s'installa donc confortablement dans son siège et prit le temps de savourer le récit, comme tous ceux passés et à venir.

Son treizième anniversaire arriva. Age particulier pour les jeunes Asura, l’âge où un maître vient les prendre en charge et leur faire découvrir les miracles de la magie du feu, combiné aux sciences et à la technologie avancé de cette race minuscule.
Personne ne vint chercher Mog. Il avait fui l’épreuve, il s’était réfugié dans la forêt, sous un arbre-cœur, son arbre, et il écoutait le chant des milliers d’insectes et d’oiseaux qui peuplaient le mini éco-système (Mog était très fier d’avoir inventé ce mot). Mais soudain, le chant se transforma en un cri d’alarme. Quelque chose approchait…

Des broussailles émergea un petit être emmitouflé dans une tenue crasseuse et en lambeau, sorte de gigantesque robe brun verdâtre. Le petit être, plus petit que l’Asura, avançait lentement, s’appuyant sur un grand bâton en bois de chêne.
Mog, par instinct, avait posé sa main sur la poignée de sa dague quand l’étranger parla :
« Tu n’as pas besoin de ça jeune Mog… »

« Que…Quoi…Comment connaissez-vous mon nom ? »

Le vieillard, un Asura minuscule et tout ridé (à moins que ce ne soit la crasse de son visage) rit d’un rire aigre et toussa. Il continuait d’avancer, et se tint devant le jeune Mog.

« Laisse-moi passer »

« Vous n’avez pas répondu à la question »

Le vieillard sourit encore une fois. Avant de pointer son bâton sur Mog. Le jeune s’effondra, attiré au sol par une puissance inconnue. Le vieux continua de marcher et s’assit sur une pière moussue, sous le grand chêne.

« Tu n’es pas mieux comme ça pour parler ? Nous allons discuter mon fils…Pour ta gouverne, sache que je sais des choses…pleins de choses. Mais tu es trop jeune pour que je te l’enseigne petit ! » Sa voix était sifflante, comme celle d’un souffreteux.

« Je ne suis pas petit j’ai… »

« Treize année fils de Nars. Tu ne sais rien…tu n’es même pas apprenti…Petit » répliqua l’Asura inconnu en éclatant d’un rire toujours aussi aigre.

Mog commençait de voir rouge. Ce vieux se moquait de lui. Et comment il connaissait Nars au juste ?
« Tu es en colère. Je serais toi, je ne ferais pas ce que tu projettes » reprit l’Asura, sortant une pipe de son havresac en cuir. « Sauf si tu as des couilles de Balrog gamin »

S’en était trop pour la fierté de Mog. Ce vieux ne le connaissait pas. Il dégaina sa dague et se jeta sur le vieux…Avant de se retrouver à quinze mètre de lui, écrasé par un poids extrêmement lourd sur le sol. Le vieillard s’était rassis. Mog analysait la situation, il avait bondi, sur de son coup pour menacer le vieux, quand ce dernier avait tendu un bras et…Une explosion de douleur le prenait, ainsi que la nausée tandis qu’un liquide épais coulait sur son visage. Commotionné, Mog rouvrit les yeux, pour voir un énorme chien le menacer de ses crocs. Sauf que ce chien puait la mort, avec la peau de son visage en lambeau.

« Je crois que tu as excité un peu trop Cerbère fils.  Allez, cessons de jouer. » Le vieux siffla puis alluma sa pipe, le chien mort grogna et recula jusqu’à lui, sans quitter de ses yeux jaunes le jeune Asura.

« Tu as treize ans. Et tu ne sais rien…Et moi, je suis là pour t’apprendre fils de Nars. Je t’observe depuis un moment. Tu es loin des Asuras, de leur certitudes scientifiques » il souffla un énorme panache de fumée. Puis il se redressa, Mog remarqua alors que le maître était bien plus grand qu’il ne paraissait, coulé dans les ombres du jour déclinant « Mog, fils adoptif de Vieille Nars, veux-tu apprendre les mystères de la vie et de la mort ? Souhaites-tu devenir le serviteur des vrais Dieux ? Suivras-tu la voie de Grenth ?»

Mog voyait le pouvoir qui s’écoulait du maître. La puissance brute de la magie primordiale, l’ancienne magie disparue avec l’arrivée des dragons. Derrière, il voyait des noms, Rurik, Devona, Menlho…Et Grenth, le seigneur de la mort, et son fidèle serviteur, Mattias Von Wolff, le héros des Légendes…

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