La douleur la réveilla. Ce n’était pas tant les coups qui la
gênaient, des bleus et des bosses, elle en avait reçu tellement, non, c’était
la corde rêche qui cisaillait ses mains profondément. Elle s’escrimait depuis
longtemps, mais ses tortionnaires savaient y faire. Couchée sur l’humus et les
feuilles, sa robe rouge déchirée, elle ne pouvait pas bouger, ses pieds liés à
une racine, tandis que ses bras, en hauteur, était retenu à un pin.
Elle entendait le rire gras des hommes derrière les fourrés,
autour d’un feu de bois qui dégageait une odeur nauséabonde de résine, sans
compter l’épaisse marmite qui exhalait un fumé des plus désagréables, qui
pourtant révulsait son ventre de long gargouillis et d’une âcre nausée, lui
rappelant combien elle mourrait de faim.
Elle-même sentait une terrible odeur, celle des hommes qui
l’avait battu, puis s’était relayé sur son corps ecchymosé, longuement, la
couvrant de leur sueur et de leur semence. Plusieurs fois, elle s’était
évanouie, plusieurs fois, elle avait espéré que la mort vienne, à chaque fois,
un autre de ses bourreaux était arrivé.
Elle priait, murmurant les paroles sacrées :
« Douce Epona, vient prendre ta fille aimante, Teutatès, père des Tribus,
protège ta servante des souillures, Dagda, arrache celle-qui-te-prie de cette
terre maudite »
Un mouvement dans les fourrés, un nouvel homme. Le pire de
la bande, un archer des lointaines terres Arsacides, petit et maigre, il avait
abattu son beau cheval blanc d’un trait. Il l’avait longuement regardé d’un
regard concupiscent, sadique et pervers. Elle avait bien compris que la mort
viendrait de lui, qui s’était repu de sa douleur depuis des heures.
« Alors ma douce ? Tu appelles la Faucheuse ?
C’est mal…Moi qui venait rien que pour toi » tout en disant cela, il
s’était baissé au niveau de son visage, ses dents déchaussées s’ouvraient en un
sinistre sourire morcelé de débris de nourriture. Elle lui cracha au visage, un
lourd glaviot. Il rit avant de dégainer une lame qu’il passa lentement,
sensuellement, le long du corps de la jeune femme
« J’aime quand elles opposent un peu de résistance.
Continue, déteste moi ma douce. Lutte jusqu’au bout, et après, seulement après,
mon beau couteau achèvera tes douces souffrances. Mais avant… » et il
baissa son couteau, avant de descendre ses mains vers le bas de sa toge qu’il
remonta lentement, dévoilant un sexe épais et dur, dardé…
Elle ferma les yeux.
Un gargouillis, puis un liquide épais coula sur son corps,
avant qu’elle ne sente le corps de l’autre s’effondrer sur elle. Elle ouvrit
les yeux, et allait pousser un cri quand une main tomba sur son visage.
Une voix lui dit, dans le dialecte des douze tribus de
Keltia :
« Pousse un cri et je fais ce qu’il t’avait promis. Si
tu as compris, acquiesce »
La jeune femme baissa lentement son visage, la voix était
une voix ferme, métallique. La main l’avait plaquée, mais avec une certaine
douceur. Quand elle remonta son visage, elle vit au-dessus d’elle un homme en
armure de cuir noire, frappée au cœur d’un loup argent. L’homme était casqué d’un
heaume en bronze terni, typique de la Ligue, avec un long nasal et des protège
joues durs. Le haut du casque ne portait pas l’habituelle crinière en poil de
cheval, surement par intérêt stratégique, ou par manque d’argent. Le mercenaire
relâcha lentement le visage de la jeune femme, avant de se détourner vers les
buissons et le cœur de la clairière. Les autres continuaient leur fête. Elle
jeta un coup d’œil à l’archer, son sourire avait été doublé au niveau de la
gorge, la plaie béante saignant de moins en moins. Les yeux vitreux la
fixaient, surpris en plein acte.
Elle était toujours attachée, elle osa murmurer.
« Pourriez-vous... ? »
Le mercenaire se retourna, la regarda, puis trancha avec le
poignard de l’archer la corde. De l’autre côté, un cri de rage se fit entendre,
tandis qu’une cavalcade commençait.
L’homme en armure noire dégaina une longue épée en plus de
sa dague ruisselante de sang, et plongea dans la clairière.
Une année de traque pour se retrouver ici, une année pour
suivre sa proie, la débusquer, et maintenant, l’hallali avait sonné. Le cœur
d’Aislin battait à tout rompre, tandis qu’il se faufilait dans les fourrées,
dague au poing. La mort et la vengeance, ce soir, la nuit serait sanglante.
Pour autant, il ne ressentait pas l’exultation qu’il attendait.
Il s’était glissé lentement en rampant, jusqu’à tomber
derrière ce fourré où la jeune fille rousse était retenue. Il avait jeté un
regard à son corps parfait bien que meurtri. Immédiatement, sa raison lui avait
crié de l’abandonner, pour ne pas risquer le plan. Mais son cœur avait bondi,
surtout quand Keyrones l’archer était arrivé. Sa main avait agi avant lui,
tranchant la gorge. Il remerciait mentalement les Dieux que l’autre s’était
effondré sans un bruit, sauf que la jeune fille l’avait encore retenu, manquant
le début de l’attaque.
Il pestait contre elle, mais aussi contre lui-même. Ses
souvenirs ne lui rappelait-il pas combien les femmes étaient dangereuses ?
En rage, il bondit dans la cohue furieuse qui se dressait
devant lui, tranchant et découpant les corps à moitié nus des pillards et
mercenaires. De l’autre côté, il voyait une masse énorme fracasser des crânes
avec une massue de bois tapissées de pierres noires comme la nuit. Bombata
faisait un excellent travail, comme d’habitude.
Parade, feinte, une gorge tranchée. Il esquive, se baisse,
son épée s’enfonce dans un ventre, il remue rapidement la lame, tranchant les
viscères qui tombent à terre dans un bruit atroce. Il se relève, une bourrade à
un archer qui vise Bombata, l’autre tombe. Aislin lui brise les cervicales d’un
coup de pied. Il tranche et tue, il sème la mort.
Douleur, un coup vient de s’écraser sur son casque,
l’arrachant. Il se retourne, à moitié groggy, un homme, grand et fort. Alcydès
le lutteur. Il relève sa massue et s’apprête à la fracasser sur le crâne
d’Aislin. Sa bouche est ouverte en un rictus terrible, tandis que son arme se
lève haut dans le ciel. Puis un cri étranglé monte de sa gorge, percée d’une
flèche qui ressort par sa trachée. Alcydès s’effondre dans un bruit mat. Ailsin
voit la jeune fille avec l’arc de Keyrones lui lancer un regard, avant de
décocher un nouveau trait.
Soudain, le calme se fait, les hommes sont tous morts, sauf
un, qui se bat contre Bombata. Diomaque. Un vieil homme corseté dans une armure
en bronze polie comme l’argent. Ses cheveux blancs volent au vent. Ses traits
d’aigles sont fatigués. Un coup de Bombata et i recule. Aislin crie :
« Arrête. Il est ma proie »
L’autre se retourne, tandis que Bombata répond.
« Bine petit homme », et recule de quelques pas.
Diomaque a le souffle haletant. Il regarde Aislin
s’approcher. Salut. Le duel peut avoir lieu. Aislin enlève son casque, révélant
de longs cheveux blonds attachés en une queue de cheval. Ses yeux bleus fixent
le vieillard. Son corps est sec, musclé. Son visage est figé dans un rictus de
haine.
« Ainsi, tu m’a enfin trouvé » dit Diomaque
« C’est bien petit loup, j’ai toujours rêvé de passer mon épée en travers
de ta gorge »
« C’est ce qu’on va voir traître. Sache que je ne serai
pas une proie aussi facile que Leucas. »
Les deux hommes, en armure complète, cnémide, ptérux de cuir
et cuirasse. Des protèges bras ceignait les poignets des deux hommes, qui
portait chacun une épée courte et un stylet.
« C’est pour lui que tu te bas ? Ce vieux fou. Ma
parole Aislin, je te pensais plus raisonnable. Même pour un barbare »
Le jeune guerrier sourit, garder la tête froide, tout le
temps, sinon, c’est la mort sous les coups rapides de Diomaque le
Serpent-des-Glaces.
« Peut-être. Mais c’était mon père. Mais l’amour et la
filiation, ce n’est pas le fils d’une pute noble qui peut connaître ça.
Rappelle-moi ta douleur de n’avoir jamais eu de famille ? »
L’argument choc, l’autre blêmit.
« Ah oui, j’oubliais, le Serpent-des-Glaces n’est qu’un
demi homme. Les couilles te manque pour venir protéger ton soit disant rang ? Ou c’est parce que Leucas
t’as trop tenu par les couilles avant que tu l’assassines ? Tu ne dis
rien ? Alcydès était si bien monté qu’il remontait jusqu’à ta gorge ?
Allez, viens abréger ta vie vieillard, comme j’ai abrégé la sienne»
Aislin a réussi ce qu’il cherchait. Le vieux guerrier est
furieux, qu’on insulte sa famille, son rang de noble de la Ligue et surtout son
amant défunt. Il bondit en avant, Aislin pare négligemment, bloquant de sa
dague l’épée courte. D’un coup de tête, il fracasse le nez de l’autre, puis
lance une attaque qui lui tranche la joue. Continuant sur sa lancée, il larde
son adversaire de coup vif, non mortel, faisant de ses muscles saillants et de
sa peau une bouillie sanglante. Un coup, il tranche le poignet d’arme. Puis
rapidement il continue. Diomaque hurle quand un coup d’épée lui arrache l’œil.
Aislin est trop vif, trop rapide, la mise à mort continue, barbare et
sanguinolente. Diomaque à genoux, fixe de son œil unique l’homme en face de
lui, s’apprête à dire quelque chose, quand l’épée du jeune guerrier s’enfonce
dans la gorge d’un coup puissant, avant qu’elle ne soit arrachée dans une gerbe
de sang…