vendredi 11 mai 2012

Rêveries Indochinoises, Parachutage


La nuit est claire. Le Dakota vole sur une mer de nuage. Calme absolu. Saint Brieux, Gröss et Santini font mine de dormir malgré les secousses et le bruit des moteurs. Le Mousse regarde avec moi le ciel étoilé, sans rien dire. Le largueur approche, il nous fait comprendre par signe que c’est pour dans dix minutes. J’acquiesce.
L’avion entame sa descente. Au sol, une vallée, gueule noire ouverte et pitons en forme de crocs étincelants. Le Dakota glisse entre ciel et terre. Sur le plateau, des feux s’allument. Un tour. La lumière rouge clignote. On s’harnache. Deux tours. La porte est grande ouverte. Saint Brieux et Le Mousse me précèdent. Personne ne semble agité. Tous, au fond du cœur, tremblons une dernière fois. Ce n’est ni la peur ni le froid, juste une appréhension. Et si le pépin ne s’ouvre pas ? Et si au sol, c’est l’ennemi qui attend ? Saurais-je bien mourir ? La lumière passe au vert. Le go libérateur résonne, associé à une bourrade. Une fois, deux fois, trois fois. C’est mon tour. Somme toute, sauter en parachute, c’est comme descendre une très longue marche d’escalier.

Cinq corolles vertes chutent dans la nuit, attirées au sol comme la pomme de Newton. L’instant semble durer une éternité, au pire deux minutes. La terre se rapproche sous mes pieds. Je touche l’humus spongieux dans un bruit sourd, avant de pratiquer le traditionnel roulé boulé. Des mains me saisissent. Voix françaises. Amies. Ses déharnacher, récupérer les colis d’armes et les précieuses boîtes de piastres, les répartir. Trois minutes. Puis s’évanouir dans la jungle, noire et impénétrable.

Il pleut. La mousson a éclaté sur les hauts plateaux, et l’eau tombe sans arrêt d’un ciel toujours noir. Nous attendons, accrochés dans un village à flanc de montagne. L’attente, c’est peut-être le pire ennemi du soldat, pire que l’Ennemi. L’Ennemi, lui, au moins, se bat au corps-à-corps, on le sent, on le voit, on le saisit. L’attente, la longue attente, n’est qu’une succession d’heures, de minutes et de secondes, avant la folie et la mort. Je fume tranquillement une pipe d’opium. Seul avantage du Triangle d’Or, les Méo nous fournissent la meilleure came qui puisse exister. Saint Brieux joue avec son couteau, le sortant et le rengainant en un tour de passe-passe lassant et hypnotique. Gröss et Santini joue éternellement au carte, buvant un mauvais pastis distillé par le petit corse avec de l’alcool à quatre-vingt-dix degrés. Le Mousse lui regarde les enfants du village se battre dans la boue, à côté d’une truie noire qui se balade tranquillement dans les ruelles détrempées avec sa marmaille de petits sangliers courts sur pattes.
Le toit de notre abri est battu par l’eau. Les feuilles de banians sont parfois trouées, en dessous, une marmite en fonte récupère le liquide dans un tintamarre constant. Un homme court vers nous, en uniforme noir. Un Méo.
Son collier d’argent brille à la lumière de la lampe à pétrole. La femme de la cahute s’éclipse après avoir posé le thé devant Saint Brieux.
« Xiep, Capitaine Sassi veut vous attaquer dépôt ennemi. »
On regarde la carte. Deux heures de marches vers une trouée marquée au stylo bleue sur le fond éternellement vert, rayé de traits noirs, pour le dénivelé. Le Mousse a déjà pris nos armes. Pas de sac, il faut courir vite, vite vers la mort. Au moins, l’attente se termine.

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