La nuit est claire. Le Dakota vole sur une mer de nuage.
Calme absolu. Saint Brieux, Gröss et Santini font mine de dormir malgré les
secousses et le bruit des moteurs. Le Mousse regarde avec moi le ciel étoilé,
sans rien dire. Le largueur approche, il nous fait comprendre par signe que
c’est pour dans dix minutes. J’acquiesce.
L’avion entame sa descente. Au sol, une vallée, gueule noire
ouverte et pitons en forme de crocs étincelants. Le Dakota glisse entre ciel et
terre. Sur le plateau, des feux s’allument. Un tour. La lumière rouge clignote.
On s’harnache. Deux tours. La porte est grande ouverte. Saint Brieux et Le
Mousse me précèdent. Personne ne semble agité. Tous, au fond du cœur, tremblons
une dernière fois. Ce n’est ni la peur ni le froid, juste une appréhension. Et
si le pépin ne s’ouvre pas ? Et si au sol, c’est l’ennemi qui
attend ? Saurais-je bien mourir ? La lumière passe au vert. Le go
libérateur résonne, associé à une bourrade. Une fois, deux fois, trois fois. C’est
mon tour. Somme toute, sauter en parachute, c’est comme descendre une très
longue marche d’escalier.
Cinq corolles vertes chutent dans la nuit, attirées au sol
comme la pomme de Newton. L’instant semble durer une éternité, au pire deux
minutes. La terre se rapproche sous mes pieds. Je touche l’humus spongieux dans
un bruit sourd, avant de pratiquer le traditionnel roulé boulé. Des mains me
saisissent. Voix françaises. Amies. Ses déharnacher, récupérer les colis
d’armes et les précieuses boîtes de piastres, les répartir. Trois minutes. Puis
s’évanouir dans la jungle, noire et impénétrable.
Il pleut. La mousson a éclaté sur les hauts plateaux, et
l’eau tombe sans arrêt d’un ciel toujours noir. Nous attendons, accrochés dans
un village à flanc de montagne. L’attente, c’est peut-être le pire ennemi du
soldat, pire que l’Ennemi. L’Ennemi, lui, au moins, se bat au corps-à-corps, on
le sent, on le voit, on le saisit. L’attente, la longue attente, n’est qu’une
succession d’heures, de minutes et de secondes, avant la folie et la mort. Je
fume tranquillement une pipe d’opium. Seul avantage du Triangle d’Or, les Méo
nous fournissent la meilleure came qui puisse exister. Saint Brieux joue avec
son couteau, le sortant et le rengainant en un tour de passe-passe lassant et
hypnotique. Gröss et Santini joue éternellement au carte, buvant un mauvais
pastis distillé par le petit corse avec de l’alcool à quatre-vingt-dix degrés.
Le Mousse lui regarde les enfants du village se battre dans la boue, à côté
d’une truie noire qui se balade tranquillement dans les ruelles détrempées avec
sa marmaille de petits sangliers courts sur pattes.
Le toit de notre abri est battu par l’eau. Les feuilles de
banians sont parfois trouées, en dessous, une marmite en fonte récupère le
liquide dans un tintamarre constant. Un homme court vers nous, en uniforme
noir. Un Méo.
Son collier d’argent brille à la lumière de la lampe à
pétrole. La femme de la cahute s’éclipse après avoir posé le thé devant Saint
Brieux.
« Xiep, Capitaine Sassi veut vous attaquer dépôt
ennemi. »
On regarde la carte. Deux heures de marches vers une trouée
marquée au stylo bleue sur le fond éternellement vert, rayé de traits noirs,
pour le dénivelé. Le Mousse a déjà pris nos armes. Pas de sac, il faut courir
vite, vite vers la mort. Au moins, l’attente se termine.
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