Mémoires du général comte Leloup, aide de camp du Maréchal
Ney. SHD, dossier XV France (généraux de)
« Ah mes enfants, la campagne de Russie. On a beaucoup
écrit sur cette question, mais peut ont compris le sens de notre combat.
Ramener à la raison un traître, et offrir les bienfaits de la civilisation à
ces pauvres hères incultes et dominés par une classe d’aristocrates avides de
leur sang.
J’étais alors aide de camp du Maréchal Ney, le brave des
braves, celui qui bientôt deviendrait Prince de la Moskowa. Mais je m’avance
bien trop vite dans mon récit.
Nous étions pour l’heure dans cette grande plaine du
Moudjikistan, quelque part entre la Vistule et Moscou. La plaine était la même
depuis des jours, champs de blés que l’ennemi brûlait au fur et à mesure,
villages pillés et aucune âme qui vive à cent lieux. Un paysage déprimant, bien
loin de nos charmantes petites régions de France qui ont mille fois plus d’attraits
par leurs fleuves, leurs forêts et autres mamelons qui ravissent l’œil. Nous
avancions à vitesse rapide, mais ces diables Russes refusaient le combat, jusqu’à
ce que nous atteignons le petit village de Vodkagrad.
Vodkagrad, beau nom pour un patelin composé de quelques
masures, était adossé à une colline que les ingénieurs russes, un des seuls
domaines de l’art militaire où ils sont bons soit dit en passant, avaient
transformé en une vaste redoute. Trois corps d’infanterie, appuyés de deux
corps de cavalerie attendaient là, leurs redoutables licornes pointées dans la
plaine.
Nous, de l’autre côté de la rivière Sakoulissi, étions
obligé de passer par ici dans notre marche victorieuse vers Moscou.
Sans attendre les ordres du quartier impérial, le brave
Rouquin mis en ordre de bataille ses corps. A notre gauche, les français, avec
une demi-brigade italienne. Au centre, encore des français, appuyés par les
braves Wurtembergeois. Et à la droite, le flanc de l’élite, le Maréchal avait
disposé ses meilleures troupes, le corps Polonais de Poniatowski et la
cavalerie légère de Kellermann, composé des intrépides lanciers et uhlans de l’armée
de la Vistule.
Mes chers lecteurs, jamais vous ne pourrez voir, ni
comprendre, ce qu’était l’Armée des Nations. Un bel imbroglio de langues et de
particularismes locaux, tous vêtus de magnifiques uniformes chamarrés et
luttant pour un seul homme : l’Empereur. Les aigles menaient les brigades,
les tambours roulaient depuis le réveil dans un grondement de tonnerre, et
cinquante mille baïonnettes jetaient des éclairs dans l’aube. Certains vétérans
disaient qu’on se serait cru à Austerlitz, et aux yeux de la bataille, je veux
bien les croire.
La masse ennemie nous faisait face, barbare et paysans
hirsutes qui bavaient et hurlaient en priant leurs saints icônes. Leurs
cavalerie, plus racée, s’était déplacée sur leur gauche pour défier les
Polonais, en leur promettant de leur refaire les moustaches.
Le coup d’envoi fut donné par une première salve d’artillerie.
Sans plus attendre, Kellermann et Poniatowski, qui ne pouvaient se laisser
insulter sans réponse, poussèrent une charge dantesque qui rompit les reins des
dragons russes. Même si les lances polonaises semblèrent dégarnies après le
premier assaut, ils continuèrent à les piquer vivement dans les reins du corps
de cavalerie adverse qui ne pouvait que reculer en hâte vers sa redoute. On
pouvait entendre le célèbre prince Passmoilwiski insulter dans un russe parfait
les dragons impériaux et leur promettre de leur carrer un oignon frais là où il
pensait après leur avoir rasé leurs moustaches cirées pour les rendre à leur
vraie nature féminine. Ces orientaux sont un peu barbares dans leurs mœurs,
mais c’est ce qui en fait de si rudes guerriers.
A gauche et au centre, le prince de la Moskowa avait disposé
en hérisson ses troupes, laissant la
fougue de la droite rabattre et gagner la bataille. Las, les Russes avaient
choisis, grâce à leur honteux surnombre certainement, de placer leur axe d’attaque
sur ces positions. Vodkagrad, dont les réserves en boissons, liqueurs et eaux
de vie étaient fort réputées, fut prise et reprise plus de trois fois à grands coups de cuiller à pot. Les Wurtembergeois
chassèrent vivement une brigade Russe, avant de se faire étriller par les
lâches batteries de Licornes qui ne leur laissèrent aucune chance, allumant
mille feux (certainement avivés par la vodka).
Mais Ney avait dit que les Russes ne passeraient pas, et ils
ne passèrent pas. Jetant jusqu’au dernier conscrit, qui se conduisirent fort
bien et méritèrent leurs aigles et la
légion d’honneur pour leur général, il repoussa vivement de l’autre côté du
Sakoulissi les moudjiks. Hélas, peut-être dans leur hâte de devancer les ordres,
ou plutôt pout se rincer le gosier avant que les flammes ne détruisent tout
dans Vodkagrad, les brigades Wurtembergeoises, remotivées, se jetèrent en avant
malgré les terribles trous dans leurs rangs et reprirent à l’ennemi le village.
Heureusement pour elle, les Polonais sur la droite avaient
déjà étrillé un corps de cavalerie, et vivement repoussé l’infanterie Russe,
commençant d’envelopper Vodkagrad. Mais ils étaient tout aussi fatigués, après
plus de cinq heures de combat. Les uhlans avaient payé le prix fort, une
brigade ayant été virtuellement annihilée (on dit que leur commandant, le
Prince Passmoilwiski au verbe haut, avait en fait trouvé une belle plante russe
dans cette plaine…ragots d’armée ou vérité, toujours est-il que sa brigade n’était
plus sur le champ de bataille).
Poniatowski poussait franchement, appuyé par les cuirassés
saxons. Mais ces dernières, peut-être prévoyant leur lâcheté future, s’empalèrent
sur les carrés Russes, empêchant la prise de la redoute et ouvrant un boulevard
à une contrattaque coalisée.
Heureusement pour les Français, les pertes des moudjiks
avaient été tout aussi éprouvantes. On pouvait voir déjà retraiter les cosaques
mais aussi l’élite de leurs cavalerie, tandis qu’une ligne de protection s’appuyant
sur une cinquantaine de pièces et leur infanterie, bombardant furieusement les
polonais qui n’en demandaient pas tant. Poniatowski et Kellermann décidèrent d’un
commun accord de reculer sur leur ligne de départ.
Sur l’axe d’attaque des Russe, les koulaks avaient percé,
mais pas en assez grand nombre, et l’approche du corps du Maréchal Duc de
Dalmatie sur nos arrières les força à reculer. Il était midi, et le soleil au
zénith consacrait une victoire française, amplifiée par la chasse des fuyards
(on vit d’ailleurs le Prince Passmoilwiski et son grand ami le comte Jean
Etienne du Vitdur bondir avec les lanciers polonais et ravager pendant quelques
semaines les arrières gardes Russes mais cela est une autre histoire).
Sur le sol, des milliers de tenues vertes se confondaient avec la plaine, le sang était ingurgité à grand glouglou par cette Russe avide du liquide vital de ses enfants, mais déjà nos corps d'armée reprenaient leur marche en avant, vers la Gloire ou la Mort »
Perte franco-italiano-polonaises : très faible, malgré
une grande saignée de cheveux chez les Uhlans et Chasseurs.
Pertes Russes : deux corps d’armée sur cinq ont été
annihilés, une trentaine de pièces ont été prises et plusieurs drapeaux. La
route de Moscou est ouverte !
Les tableaux de la batailles se trouvent dans une collection privée ici: